Et l'Eglise...

Le catholicisme n' est pas un bloc monolithique ; son visage a changé avec les époques et les lieux. En dehors de quelques vérités de foi, i1 permet beaucoup d'interprétations théologiques, et bien des pistes restent inexplorées et des portes ouvertes, qui, aujourd'hui, ne conduisent plus hors de l'Église. Les francs-maçons, pourtant, le considèrent en général comme un bloc. Ils ne le voient pas dans sa diversité, ou, s'ils considèrent celle-ci, c'est avec le sentiment qu' on veut désarmer leur méfiance envers l'esprit dogmatique, les piéger. L'aggiomamento, postconciliaire, les a intéressés mais la "reprise en main" de ces dernières années les a ensuite rassurés. Déjà au moment de la convocation de Vatican-II, J. Corneloup, grand commentateur du grand collège des rites, intervint au nom du Grand-Orient de France pour mettre en garde la franc-maçonnerie contre "les sirènes de l'oecuménisme". Cette méconnaissance de la nature de l'Église a des causes historiques. Catholiques et maçons ont toujours eu des rapports d'affrontement.

Sans parler du problème de l'école, toujours prêt a se ranimer sous la cendre brûlante de la laïcité, bien des francs-maçons butent sur la question du dogme. Certaines présentations, il est vrai, n'en facilitent pas la compréhension. Il1eur semble inconcevable qu'une institution puisse imposer une définition théologique comme vérité intangible sans aliéner la liberté de celui qui la reçoit comme telle. Une pareille définition, en revanche, conçue et reçue comme la simple approche relativisée d'une vérité absolue, le point de repère d'un cheminement collectif, apparaît déjà comme beaucoup plus acceptable: n'y point adhérer, c'est sortir librement d 'une communauté de croyants ; y adhérer demeure compatible avec l'exigence maçonnique d'une pensée disponible pour toute recherche de la vérité.

Mais les responsabilités sont partagées car si quelques francs-maçons attardés restent l'oeil fixé sur cette Église du "Syllabus" qui, le siècle dernier, avait effectivement condamné la libre recherche de la vérité, combien de chrétiens ignorent encore de leur côté que les temps ont changé, non seulement dans leur Église mais également au sein de la "puissance" maçonnique qu'ils redoutent.

Même a la tête de l'Église on doit faire effort pour juger la franc-maçonnerie autrement que le siècle dernier, tant s'impose le prisme déformant de certaines obédiences italiennes, attachées, viscéralement parfois, au vieil anticléricalisme garibaldien.

Mgr Serge Mendes Arceo, évêque de Cuernavaca, surprit vivement les pères du Concile lorsqu'il leur rappela que la franc-maçonnerie était une société d ' origine chrétienne et demanda que fussent reconsidérées les sanctions portées naguère contre un ordre réputé être une "secte complotant contre l'Église".

Plusieurs représentants influents de l'Église de France -le père Jean-François Six notamment, qui dirigeait alors le "secrétariat pour les non-croyants", branche nationale de l'organisme créé après Vatican-II et dont le cardinal Koenig, archevêque de Vienne, fut le premier président - tentèrent d' orienter Rome vers une solution provisoire laissant aux épiscopats nationaux le soin de lever ou non les interdits selon la nature et l'activité des obédiences locales.

La solution définitive eut été l'abrogation des articles du droit canon, notamment de l'article 2335 qui frappe d'excommunication ceux qui adhèrent à une "secte" se livrant a des "machinations ou complots contre l'Église ou les pouvoirs civils légitimes" . Mais une mesure aussi radicale risquait de n'être pas prise avant longtemps. La révision du code canonique était certes en bonne voie depuis mars 1963 mais elle exigeait encore de longs délais. D'autre part, les pesanteurs historiques laissaient prévoir de fortes résistances tant qu ' existerait dans le monde, et a fortiori en Italie, une seule obédience maçonnique dans la tradition de l'athéisme militant. Une commission de soixante-quatorze évêques et cardinaux, présidée par le cardinal Felici, a finalement remis au pape, le 29 octobre 1981, le projet de nouveau code de droit canon.

L'adhésion a une association "qui trame contre l'Église" n'est plus punie d'excommunication, mais (maigre progrès !) reste soumise a la peine canonique de "l'interdit" qui prive de l'usage des sacrements.

Le réalisme commandait donc des solutions adaptées aux cas nationaux. La libre appréciation par les épiscopats répondait à ce voeu.

Le père Riquet et M. Alec Mellor tentèrent de leur côté de favoriser un rapprochement entre l'Église et la franc-maçonnerie, mais par des voies différentes. Ils proposèrent une solution fondée sur l'application du canon 2228 qui précise que la peine n'est encourue que si le délit a été «parfait". Cette peine ne saurait donc s'appliquer, disaient-ils, dans le cas d'adhésion à une obédience maçonnique qui aurait publiquement déclaré s'interdire tout ce qui peut être considéré comme "complot contre l'Église ou les pouvoirs civils légitimes". La faille d'une telle solution était d'être contraignante pour la maçonnerie, soupçonnée a priori d'avoir été coupable de ce complot et qui était appelée à proclamer son innocence, face à une Église toute de blancheur . Les obédiences, a l'exception de la Grande-Loge nationale française, répondaient en substance: "Que l'Église révise son jugement si elle le veut. Nous, nous ne sommes pas demandeurs." Le discours prononcé par M. Fred Zeller, grand-maître du Grand-Orient de France, au banquet de clôture du convent de 1971, témoigne de cet état d'esprit. Néanmoins s'installe alors en France une situation de fait, caracterisée de part et d'autre par la recherche d'une meilleure compréhension. La visite de Mgr Daniel Pezeril, évêque auxiliaire de Paris, à la Grande-Loge de France, le 22 juin 1971, et l'accueil chaleureux qu'il reçut du grand-maître Pierre Simon et de l'ensemble des maçons constituent d'autres signes d'une évolution, que traduit également la réponse du cardinal Marty, précisément a M. Alec MelIor lui demandant par personne interposée l'autorisation de devenir franc-maçon : "Je n'ai à formuler ni autorisation ni interdiction, déclare l'archevêque de Paris. Qu'il consulte sa conscience."

En février 1982, à l'occasion des obsèques religieuses de M. Derozière, grand-maître d'honneur de la grande-1oge nationale française, Mgr Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris publie un communiqué pour expliquer, la position de l'Église : celle-ci admet désormais que la condamnation canonique ne vise pas les maçonneries qui s'interdisent d'agir contre l'Église. C'est ce qu'a fait le 18 octobre 1972 la GLNF qui a donna en présence de Dom Miano, consulteur de la congrégation pour la doctrine de la foi, l'assurance qu'elle s'interdisait "toute action" de ce genre.

Cette procédure, suggérée par le père Riquet et appelant les francs-maçons à accepter le soupçon qui les condamnait jadis, néglige la fierté ou la bonne conscience d'autres obédiences. Elle sous-estime aussi la force du différend qui oppose ces obédiences à la Grande-Loge nationale française et qui sépare profondément la franc-maçonnerie "libérale" de celle qui se proclame seule "régulière". Ce différend est généralement considéré sous l'angle des rapports avec l'Église : en renonçant à l'obligation de croire en Dieu "Grand Architecte de l'Univers", la maçonnerie latine, dite libérale, se serait écartée de la seule et véritable tradition de l'Ordre, s'exposant ainsi à l'anathème des francs-maçons réguliers. En réalité, c'est toute une conception de la vie maçonnique qui se trouve en jeu. Pour les maçons dits "réguliers", la loge est d'abord le lieu du perfectionnement individuel, moral et spirituel, de ses membres, quand elle n'est pas, comme dans quelques pays anglo-saxons, un simple club de gens de bonne compagnie. D'autre part, une «grande loge régulière" n'est pas conçue comme le simple organe fédérateur des loges ou "ateliers" de l'obédience, mais comme la tête d'un organisme hiérarchisé, d'un véritable "ordre", lequel réprouve ce qu'il désigne comme les "écarts democratiques" d'une doctrine "mal comprise", celle, adoptée par le Grand-Orient, du "maçon libre dans la loge libre".

Le maçon "régulier" a, pour le rituel maçonnique, l' attachement du catholique intégriste pour la liturgie traditionnelle. II réprouve, comme ce catholique, l'intrusion dans le temple des problèmes de la cité. II sera scandalisé, par exemple, en 1968, que les adeptes d'idéologies gauchistes puissent fraterniser sous les colonnes du Grand-Orient. Ces réactions tracent le profil du franc-maçon "régulier" : c'est généralement un conservateur dont la tolérance n'admet pas qu'il existe une double tradition maçonnique, comme le proclament les francs-maçons libéraux. Pour un maçon "régulier", ces "frères" (ceux de l'ensemble des obédiences françaises, à l'exception d'une seule, minoritaire) se sont mis hors de la franc-maçonnerie ; ils portent indûment le titre de franc-maçon. Pour eux, il n'existe qu'une franc-maçonnerie universelle : la leur. Naturellement, ce rigorisme n'est le fait que des théoriciens, et encore ne commande-t-il pas toute leur vie maçonnique. II demeure néanmoins la marque de la Grande-Loge nationale française, même si son actuel grand-maître, Jean Mons, en offre une image moins sectaire.

Quelles sont aujourd'hui les sources du "recrutement" maçonnique ? Les professions libérales (médecins, avocats, notaires, huissiers), les fonctions paramédicales, la fonction publique (anciens fonctionnaires coloniaux, université, enseignement, administrations fiscales et financières, entreprises nationales, Sécurité sociale), les cadres de l'industrie et du commerce.

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