REVISTA TRIPLOV
de Artes, Religiões e Ciências


Nova Série | 2010 | Número 04

 

Introduction

 

S’il est un sujet qui nécessite la plus grande humilité, c’est bien celui de l’alchimie. Plus de 40 ans passés à lire les textes et à fréquenter le milieu qui se pique de « pratiquer au laboratoire » m’ont fourni quelques certitudes, à commencer par la conviction que rares sont ceux qui savent réellement de quoi il retourne. Naturellement, ce qui va suivre n’engage que ma propre compréhension de ce dont il s’agit. Par conséquent, je n’entends pas donner à mes propos une valeur de vérité absolue. En tout état de cause, ils ne sauraient constituer que des pistes de réflexion. Il y a bien longtemps de cela, alors que je n’étais qu’un jeune homme passionné de littérature internationale, par désœuvrement et, peut-être, par désenchantement, je suis allé voir du côté d’une autre littérature, une littérature « maudite » et, pour tout dire, reléguée dans l’Enfer des bibliothèques. J’aurais vite abandonné si je n’étais tombé sur un auteur dont les conseils me semblèrent frappés du sceau du bon sens. Que disait-il?

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Maria Estela Guedes  
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RICHARD KHAITZINE

 

Alchimie, Gnose,

Religions et Physique

   
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

IX Colóquio Internacional «Discursos e Práticas Alquímicas»
Centro Cultural Gonçalves Sapinho . Benedita, 29-30 de Maio de 2010

 

Que chacun « devrait davantage réfléchir avec son cerveau qu’avec celui des autres » et qu’il « eût mieux valu ne rien avoir appris que d’avoir tout à désapprendre ». Et ce second conseil est sans doute le plus difficile à suivre, parce qu’il nécessite de procéder à des révisions de nos acquis et de pratiquer des coupes sombres dans ce qui nous a été inculqué, ce qui est source, naturellement, de douloureux déchirements. C’est que nous sommes tellement attachés à nos a priori et à nos idées reçues ou toutes faites ! Mon statut d’autodidacte me préserva de ces déchirements. L’exploration de territoire intellectuels, pratiquement vierges – du moins sur les cartes établies par la pensée officielle – me contraignit uniquement à un changement de vision. En revanche, l’impact fut considérable puisqu’il m’amena à remettre un cause ce que je croyais savoir de la littérature, et des arts en général, de l’Histoire et de la science. En effet, lire ne signifie pas savoir lire. Il existe un fossé entre le fait de prendre un texte à la lettre et celui consistant à en dégager l’esprit et ceci s’applique aussi bien aux textes profanes, qu’aux textes religieux et, encore plus, aux traités alchimiques. De cet auteur, mentionné précédemment et qui ne désira léguer à la postérité que deux ouvrages signés du pseudonyme Fulcanelli, j’ai appris également, et pu vérifier, que l’Histoire est un mensonge pitoyable et que la Science n’est science qu’à partir du moment où elle est capable de remettre ses acquits en question.

L’alchimie, bien évidemment, ne se résume pas à la possibilité de transmuter les métaux pauvres en argent ou en or, ce qui serait dérisoire et de peu de valeur. De même évoquer la poudre de transmutation, l’élixir, voire la Pierre philosophale, et leurs effets supposés ne mène pas bien loin. Ceci est encore plus vrai dès lors qu’il s’agit de passer à « la pratique », de travailler « au laboratoire » et c’est, pour avoir mal compris les textes que, nombre de chercheurs se fourvoient dans des voies qui sont autant d’impasses, et qu’ils se livrent à des recherches qui, la plupart du temps, s’apparentent davantage à des procédés archimiques ou spagyriques, brûlant du charbon ou de l’antimoine – ou autres substances minérales et métalliques – dans un four. La première question à se poser lorsqu’on s’engage dans la voie alchimique c’est : « qu’est-ce que je cherche ? » Telle est la question à laquelle je vais essayer d’apporter une réponse.

 

 

Les Origines de l’Alchimie et ses supports

 

 

Certains chercheurs, à commencer par Mircea Eliade, la font remonter à l’époque des premiers forgerons, présupposant qu’il était nécessaire de maîtriser le feu. Cette hypothèse de travail ne se justifierait que dans le domaine concernant la transmutation et non ce qui concerne l’élaboration de l’élixir ou la Pierre. Quant à la Science, elle avoue être incapable de dire à quelle époque remonte la maîtrise du feu par l’Homme. Elle mentionne une fourchette se situant entre 300 000 et 200 000 ans, tout en reconnaissant avoir trouvé des traces de feu dans une grotte située en Israël et qui remonteraient à 800 000 ans. Or ces datations posent un problème majeur, celui des témoignages archéologiques en notre possession. Car, de quelque façon que l’on retourne le problème, les vestiges nous permettent à peine de remplir 7 à 8000 ans de civilisation continue. Par suite, il faut bien convenir qu’il existe un blanc difficile à combler. Peut-on conjecturer que des civilisations se sont succédées et qu’elles disparurent cycliquement à la suite de quelconques cataclysmes ? Si la Science fait remonter la présence de l’homo sapiens à environ 30 000 ou 40 000 ans, la Mésopotamie et Sumer, constituant  le berceau de l’Humanité, ne couvrent que 7 à 8000 ans d’existence. 

Par conséquent, en matière d’alchimie mieux vaut partir du « connu » c'est-à-dire de Sumer. Les fameuses tablettes narrant l’épopée de Gilgamesh (l’Hercule Babylonien) constituent déjà (vers – 1800)  un texte alchimique. L’argument en est d’ailleurs la quête de l’immortalité.     

Par la suite, toutes les mythologies qu’elles fussent égyptiennes, grecques, latines, voire celtiques, puis les différentes religions – qui ne sont que des mythologies plus modernes – furent des véhicules de l’Art hermétique. Les œuvres du pseudo Homère, celles de Virgile, d’Apulée et de bien d’autres relèvent de la même approche. Au cours des premiers siècles de notre ère, toute la région d’Alexandrie fut un creuset en véritable effervescence. Les différents systèmes de pensée s’y côtoyaient : Gnose, arianisme, docétisme, etc. Ces sectes s’enrichirent au contact de l’alchimie et cette dernière en utilisa la pensée en tant que nouveau véhicule. Elle « fit feu de tout bois » et cela dura jusqu’à la victoire remportée par la chrétienté sur les « hérésies », à savoir tous ces courants qui ne pensaient pas comme elle. À noter que ces « écoles » ne purent être hérétiques par rapport à un courant qui lui fut postérieur. On ne peut être « hérétique » - au sens péjoratif du terme – qu’à l’égard d’une pensée antérieure ! Toujours est-il que « la messe fut dite » et que l’Histoire fut écrite par les vainqueurs… ce qui est toujours le cas. Contrainte de se dissimuler afin de survivre la Gnose – terme générique utilisé aux fins de simplification – s’enterra, infiltra les ordres religieux chrétiens, puis les ordres militaires, à commencer par celui du Temple, et les corporations ouvrières, créant de ce fait un mouvement « underground », une contre culture avant l’heure, une sorte de courant souterrain doublant la culture officielle. Bien à l’abri des regards, l’alchimie s’empara de toutes les courroies de transmission : architecture, sculpture, peinture, fables, contes, petite Histoire, littérature « profane », jeux, comptines et même des locutions populaires. Elle fut à son apogée au Moyen-âge, à la Renaissance, perdura au XVIIe siècle et connut son déclin avec la chimie de Lavoisier, ce qui peut sembler paradoxal puisque la maxime « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » attribuée à Lavoisier, est simplement la reformulation d'une phrase d'Anaxagore de Clazomènes : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ». Or Anaxagore connaissait parfaitement la théorie alchimique, à preuve : « L’intelligence éternelle qu’est le nõõs mit un ordre dans le chaos éternel. Tous les corps, qu’ils soient en or ou en fer, sont donc composés du même matériau, bref, sont de simples agrégats d’atomes. » Cette théorie mena à l’élaboration de la théorie atomique de Démocrite. Le concept du  nõõs fut également repris par Aristote, mais il préexista chez les égyptiens.

La Franc-maçonnerie du XVIIIe siècle intégra une partie du symbolisme alchimique, dont elle avait héritée sans doute des rites forestiers et de l’illuminisme rosicrucien (1). Enfin, l’alchimie connut un regain d’intérêt au XIXe  et début du XXe siècle, grâce, notamment, aux textes signés Fulcanelli, pseudonyme qui masquait la collaboration d’un opératif et de Pierre Dujols ; Jean-Julien Champagne ayant assuré la partie illustrations. Champagne avait été l’élève de Jean-Léon Gérôme lequel avait eu pour élèves – entre autres – Vincent Van Gogh et Toulouse Lautrec. Ce dernier avait dessiné les premières silhouettes du Théâtre d’Ombres du Cabaret du Chat Noir dont on sait qu’il abrita le microcosme alchimique (2). Quant à Pierre Dujols, il était le dernier descendant des Valois Médicis et issu en droite ligne du mariage du Duc François d’Anjou – quatrième fils de Catherine de Médicis – et de Jeanne Adélaïde de Medina Celi (3).

Si, hormis la parution des « Fulcanelli », le XXe  siècle, ne connut guère de publications majeures en matière d’Alchimie, il vit l’éclosion d’une littérature populaire, ou non, étonnante, qui en murmura les confidences à qui savait lire entre les lignes. Le plus étrange fut, qu’en majeure partie, les livres en question contenaient des allusions bien senties au Mystère des Cathédrales (1926) et aux Demeures philosophales (1930) alors que ces deux ouvrages n’avaient pas été encore publiés. Par conséquent, la seule hypothèse qui puisse être retenue est celle de notes ayant circulé avant la publication des ouvrages signés Fulcanelli. Mais qui aurait pu se douter que les aventures d’Arsène Lupin, comme celles de Rouletabille ou de Chéri-Bibi ou encore le drame flamboyant du Fantôme de L’Opéra, constituaient des véhicules de l’art hermétique ? Et pourtant ! Le fait même que les auteurs de ces œuvres se soient nommés Maurice Leblanc et Gaston Leroux aurait dû susciter des interrogations dans le milieu universitaire. Les œuvres d’Alfred Jarry et de Raymond Roussel mériteraient également d’être relues et enseignées à ce niveau. Concernant Roussel, André Breton, dès 1948, dans Fronton virage, avait subodoré le lien à établir avec Fulcanelli et ses Demeures philosophales. Plus tard, cet imbroglio hermético-littéraire constitua la clé majeure des principaux romans de Georges Perec (4), lequel était un admirateur inconditionnel de Raymond Roussel et ceci suffit à expliquer cela… (5)

La peinture constitua également l’un des véhicules majeurs des connaissances alchimiques. On pourrait citer notamment Archimboldo dont le nom se traduit par « la soupe ou le potage alchimique ». Les toiles de Jérôme Bosch, de Leonardo da Vinci, de Nicolas Poussin et de bien d’autres ne peuvent être comprises qu’à la lumière du symbolisme hermétique. La même observation s’applique à l’art héraldique, à l’architecture religieuse et à l’architecture civile, du moins jusqu’au tout début du XXe siècle pour cette dernière.                 

 

 

Alchimie et physique des quantas

 

 

Que de quolibets eut à subir l’art d’Hermès depuis le XVIIIe siècle. Le principal argument que lui opposa la chimie fut que l’unité de la matière n’existait pas et que dès lors il était impossible de prétendre transmuter un corps en un autre. Et pourtant, les alchimistes s’entêtaient. Eux savaient bien que tout, dans la Nature, se transmute naturellement. Fût-ce pour cette raison qu’ils enrobèrent leur discours d’un voile impénétrable à qui prendrait la lettre d’un texte pour son esprit ? Toujours est-il que l’astuce fonctionna et qu’on ne compte plus les beaux esprits qui se laissèrent prendre à leurs chausse-trapes et qui lisant les termes Antimoine, Athanor ou fourneau – pour ne citer que ceux-là – les comprirent au pied de la lettre.

Or ceux qui s’appelaient entre eux les Laboureurs du Ciel, n’ignoraient pas qu’une poule était capable de pondre un œuf protégé d’une coquille de calcaire, même si son alimentation était dénuée des éléments permettant de fabriquer cette enveloppe protectrice. De même les plantes transmutent les éléments sans cyclotrons, usant de la photosynthèse et d’une fusion froide au niveau subatomique. 

Au début du XXe  siècle les travaux d’Heisenberg, de Niels Bohr et de leurs amis de l’école de Copenhague, bouleversèrent considérablement les lois admises par la physique. Rappelons simplement qu’Heisenberg postula, à juste raison, que les résultats de toute expérimentation étaient susceptibles de varier en fonction de la présente ou non d’un observateur, voire de la qualité de ce dernier. En outre, Heisenberg étendit sa constatation à l’intervention de paramètres extérieurs, comme la présence ou non de lumière.

Ces affirmations sont très proches de celles formulées par les anciens alchimistes, lesquels soutenaient que la lumière du jour pouvait constituer un obstacle lors de certains de leurs travaux.  Plus étonnant, la physique quantique adopte des accents   métaphysiques. Il suffit pour s’en convaincre  de lire la définition que donne David Bohm de la matière : « La matière n’existe pas, elle n’a qu’une propension à être » et d’ajouter : «  la matière est un événement devenu tangible, un comportement rendu sensible. » Autant dire que la matière, telle que nous l’appréhendons à l’aide de nos sens objectifs et limités, est une aberration sensorielle, une illusion, terme qui résonne étrangement avec la conception Hindouiste du monde. Louis de Broglie, de son côté, concluait que la matière était sans doute de la lumière condensée, à la fois de nature corpusculaire et ondulatoire.

Ce sont ces caractéristiques d’une « matière » dont la réalité est fluctuante et où les « choses » n’existeraient qu’a priori qui font de l’alchimie ce qu’elle est. Cette notion d’a priori nous renvoie à la philosophie de Platon puis à celle de Kant et au monde des noumènes et des phénomènes, celui de l’intangible et du sensible. Encore faut-il savoir que le mot « noumènes » provient du grec nooumena (réalité intelligible) dérivé de  noûs, intellect, esprit, pensée, soit comme principe, soit comme faculté. Cependant, le terme noûs désigne aussi l’Esprit qui, comme l’Aiôn, est une sorte de fantôme descendant du ciel et y remontant, puis redescendant en un ballet incessant. Ce fut à partir de cet Aiôn, mentionné dans les textes gnostiques, que la chrétienté inventa le « fils de Dieu incarné », destiné à souffrir sur la croix afin de racheter les péchés du Monde. Et cette fiction n’a que peu à voir avec la religion

Enfin, et pour établir le lien entre les données récentes de la physique et l’alchimie, il est nécessaire de garder présent à l’esprit que l’espace et le temps sont les bornes entre lesquelles se situe la matérialité. Sans elles, il nous serait impossible de nous situer et d’exister. Or, il existe un « état » au cours duquel ces limites se trouvent abolies. C’est cet « état » qui fit écrire à Fulcanelli : « Celui qui n’a pas vu l’œuvre en esprit, ce n’est pas la peine qu’il dépense ni son temps, ni son huile (6) ».

De quoi s’agit-il ?

 

 

Alchimie et révélation 

 

 

Avant d’aller plus loin, il nous faut répondre à la question fondamentale précédemment évoquée : que cherchons-nous ? Et où le chercher ?

Ce point capital, ne saurait être découvert dans la vie et ses manifestations, puisque ces dernières nous sont connues et observables, mais bien plutôt dans la mort entraînant la décomposition de la matière. Elle seule est capable de nous renseigner sur les causes dont la vie nous montre les effets. Si le mystère du berceau est également celui de la tombe, c’est à la mort seule qu’appartient l’avenir. Le plus grand secret du monde réside dans la dissolution des corps. Ne faut-il pas que le grain se putréfie en terre si nous souhaitons obtenir une récolte ? Or, si la chimie est la science des faits, l’alchimie est celle des causes. L’objet de l’alchimie n’est pas d’étudier les corps naturels mais de comprendre la nature du mystérieux dynamisme qui préside à leurs transformations. C’est ce dynamisme que nous allons « traquer ». Pour ce faire, il est important de connaître la définition que donna Fulcanelli de l’alchimie. Selon lui, il s’agit « de la permutation de la forme par la lumière, le feu ou l’esprit. » Cette lumière, ce feu, cet esprit, c’est lui que les textes désignent sous le nom de Mercure des Sages ou de Mercure universel et qui, tel un Fregoli ou Arsène Lupin, change d’apparence et de nom en fonction des circonstances et des phases de l’œuvre. Non sensible, de nature ondulatoire, il va se densifier jusqu’à se matérialiser, adoptant tour à tour les noms de mercure, soufre et sel, ce dernier n’étant que le « mercure » ou esprit coagulé (7). Ces trois termes désignent respectivement l’Esprit, l’âme et le corps, constituant le ternaire des religions.  

Au IVe siècle, le gnostique, Zosime, déclarait « l’Alchimie est un mystérion (un mystère de l’esprit) au cours duquel l’âme gravit les degrés de l’échelle mystique… » Cette définition n’est pas sans évoquer le songe de Jacob.  Zozime associait le « fils de Dieu » à la pierre philosophale. Vers 1330, sous le voile d’une parfaite orthodoxie catholique, Petrus Bonus, déclarait comme chose bien connue « des anciens Philosophes de cet art, qu’une vierge devait concevoir et procréer », ajoutant que cela fut fait « dans le Christ Jésus et sa vierge Mère ». Le Hongrois Nicolas Melchior composa au début du XVIe siècle un office alchimique au cours duquel le Christ était invoqué comme «  la pierre bénie de la pratique de la science ». L’Arabe Espagnol du XIIe siècle Moyyidin ibn arabi se montre tout aussi expressif : « L’alchimie est une science naturelle, spirituelle et divine ; nous la déclarons en effet science divine du fait qu’elle apporte la stable harmonie, entraîne la descente épiphanique, et l’intime solidarité entre les êtres, et aussi par le fait qu’elle apprend à connaître les noms divins qu’affecte le Nom Unique, selon la haute diversité des concepts métaphysiques des alchimistes (…) Son pouvoir souverain réside dans la transmutation ; je veux dire dans les changements d’état qu’affecte la Source Unique. »

La clef première réside donc dans le fait que le Philosophe soit gratifié d’un Songe, un rêve fait en état de veille. C’est de cette vision transcendantale dont il est question aussi bien dans Le Songe de Poliphile que dans le Roméo et Juliette de Shakespeare. Notons au passage que Roméo signifie Pèlerin, depuis qu’en l’an 1300 les pèlerins se rendant à Rome, pour les fêtes du Jubilée, répétaient : Romam eo (je vais à Rome). Certains de ces pèlerins « Roméi » furent qualifiés de Buon Roméo, en raison du fait qu’ils aidaient les plus pauvres à gagner Rome en leur prêtant assistance. D’ailleurs, et afin de lever toute ambigüité, Juliette désigne Roméo sous le nom de «  Good pilgrim » (bon pèlerin). Or  Pèlerin est le terme qui sert parfois à qualifier la matière première de l’œuvre, l’agent, le Mercure – à ne pas confondre avec la première matière, le sujet -. Ce Mercure ou Pèlerin, c’est lui qui se trouve emblématisé par le Mat du jeu de Tarots. Ce noûs, Aiôn, mercure ou pèlerin est encore dénommé Spiritus mundi et les catholiques en ont tiré le Saint Esprit. Cela explique pourquoi Jésus, contre toute logique, déclare « Quiconque dira une parole contre le Fils de l’Homme, il lui sera pardonné, mais à celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pas pardonné. (Luc, 12,4-7) conforme aussi à Mat.12,31-37. L’Esprit Saint est issu du rayonnement solaire polarisé par la surface lunaire. Or les textes n’ont de cesse de répéter que le Mercure suffit pour commencer l’œuvre et l’achever. De même ils insistent sur le fait que l’œuvre se fait d’une seule matière, d’un seul vase et avec un seul fourneau. En réalité ces trois termes ne désignent qu’une seule et même chose que les philosophes nomment tantôt leur eau, tantôt leur feu : le Mercure, l’Esprit. On comprend mieux dès lors pourquoi Pascal – qui semble-t-il assista à une transmutation si l’on en croit le testament scapulaire découvert dans la doublure de son habit – mentionna « la Grâce nécessaire ou suffisante ». Obtenir la Grâce, l’Esprit Saint, équivaut à être gratifié du Don de Dieu. Tout ceci est résumé sur nombre de monuments que les historiens prétendent avoir été construits à la demande du roi Henri II pour sa maîtresse Diane de Poitiers. On y voit en effet le monogramme du roi entrelacé avec le double D de cette dernière. Or cette affirmation n’est pas crédible puisque ce symbole figure également sur l’observatoire (Halles de Paris) que Catherine de Médicis fit élever pour son astronome Cosimo Ruggieri. Un tel hommage aurait été d’une rare complaisance compte tenu de la situation. Plus vraisemblablement, ce H, comme l’êta des grecs, se voulait la notation de l’Esprit, quant aux deux D – dont l’un est figuré inversé – ils étaient sans doute destinés à évoquer deux phases lunaires différentes.                                  

 

 

Du Vitriol, du Lyon Verd, de l’Antimoine à Peter Pan et Robin Hood

 

 

Bien que les expressions « Vitriol », « Lyon verd » et « Antimoine » puissent désigner plusieurs choses, sur le fond elles font référence au même élément. La Table d’Émeraude se montre très expressive sur cette question. Il y est bien dit que le Soleil en est le Père et la Lune la Mère. Mais pourquoi le texte ajoute-t-il que le vent l’a porté dans son ventre ? La solution se trouve dans la parfaite compréhension du mot Vitriol. Dire comme certains étudiants en alchimie ou comme les Francs-maçons que ce terme est l’anagramme de « l’or y vit » ou qu’il s’agit d’un condensé de l’injonction « Visite l’intérieur de la Terre et en rectifiant tu trouveras la Pierre » ne nous apprend rien. En revanche si nos investigations sont menées à partir du mot « Terre », le problème avance singulièrement. En effet l’intérieur du mot en question est « erre », ce qui phonétiquement, en rectifiant cette sonorité nous livre un nouveau mot : « air », ce qui est en accord avec la Table d’émeraude.

L’alchimie est indissociable des rythmes naturels et notamment des cultes liés à la fertilité, à la renaissance de la nature, aux fêtes du mois de mai (mois consacré à Maia la mère d’Hermès). Au printemps, la nature en sommeil, se réveille, elle reverdit. Dans le domaine de la littérature et des traditions populaires,  Peter Pan et Robin Hood, se caractérisent par des vêtements verts. Peter Pan, vole comme Hermès et il règne sur la terre, l’eau et les airs. Son nom est particulièrement parlant puisqu’il signifie textuellement la pierre universelle, ce qui est un synonyme de pierre philosophale. Quant à Robin Hood, vêtu de vert, il se bat comme un lion contre l’envahisseur normand. En outre, il est l’ennemi des gens d’église, autant dire un anti moines. Et n’est-il pas insaisissable comme le vent ? Héros solaire il est toujours figuré avec l’attribut d’Artémis ou Diane, l’arc lunaire. Mais n’est-il pas curieux que Robin des Bois se soit nommé primitivement Robin Hood (capuche ou capuchon) ? En argot des Cornouailles, un robin est une verge au capuchon ôté, un phallus. Or les anciens philosophes ne se privaient pas de jouer sur la proximité phonétique de phallus et de phalos, lumière au sens de connaissance.

 

 

Du sujet de l’art…

 

 

Après avoir longuement parlé de l’agent, il convient de dire quelques mots du sujet. Comme la plupart des chercheurs, je me suis longtemps laissé abuser par le sens apparent des textes et j’ai focalisé mon attention sur les minéraux et les métaux. Or quand on souhaite faire du pain on ne prend pas du froment ou du pain déjà cuit, mais de la farine, faite de grain et travaillée. On nous dit aussi que cette « matière » les pauvres comme les riches en disposent. Il s’agit donc de quelque chose de très courant et certainement pas des minerais ou des métaux. L’Ancien Testament ne dit-il pas que l’Esprit de Dieu planait sur les eaux ? Quant au Nouveau Testament n’assure-t-il pas qu’au baptême d’eau de Jean doit succéder le baptême de feu ou d’esprit de son successeur ? De même, ne vit-on pas les Templiers obéir à une première règle et être baptisés d’eau avant de se tourner vers une seconde, celle de Maître Roncelin, descendant des princes des Baux de Provence ? Or cette seconde règle fut intitulée  Le baptême de Feu.

Tout ce qui est, qu’il s’agisse de l’Homme ou de la planète est constitué d’environ 75% d’eau, laquelle dans son essence, comme tout corps, se trouve composée de lumière ou de dynamisme vibratoire.

 

  Conclusion 
 

 

La Geste de Robin Hood est au Moyen-âge ce que furent les mythes grecs à l’Antiquité. Au sel attique (d’Athènes), c’est-à-dire la fine plaisanterie, répond en écho le rire ironique des faiseurs de légendes. En effet – mais qui s’en souvient ? – en vieux français un archer se disait arquois. Par suite d’un cuir, d’une faute de liaison, ce terme se transforma en narquois, celui qui décoche des traits – ou des flèches – d’esprit ! A cette même étymologie se rattache le terme carquois, l’étui contenant les flèches.

Ainsi s’achève ce long exposé, destiné aux Actes du Colloque, et par lequel je souhaite remercier les organisateurs et les intervenants de me faire l’honneur de bien vouloir m’accueillir au sein de leur docte assemblée.

 

 

ANNEXE 1 - Les ancêtres de Pierre Dujols de Valois

 

 

Le libraire Pierre Dujols fut assurément l’un des deux rédacteurs des ouvrages signés Fulcanelli. Pierre Dujols avait un frère aîné, Antoine. Les Dujols étaient issus de la lignée du dernier fils de Catherine de Médicis : François d’Anjou. Pour l’Histoire officielle, la lignée des Valois s’éteignit avec Henri III, auquel succéda Henri de Navarre sous le nom d’Henri IV. Ce dernier régna au détriment d’un Valois. Le nœud gordien de cette affaire réside dans les faits suivants. Les décès successifs de François II, Charles IX et Henri III, issus tous trois du mariage de François II et de Catherine de Médicis, auraient dû porter sur le trône leur dernier frère, François de Valois, duc d’Anjou et d’Alençon si celui-ci n’était décédé prématurément en 1584, soit cinq ans avant Henri III. Toutefois, François de Valois ne mourut pas sans descendance. En effet, le 12 avril 1575, il avait épousé Jeanne Adélaïde, duchesse de Medina Coeli. De ce mariage naquit Philippe-François de Valois, duc d’Anjou et d’Alençon, qui se maria en 1621 avec Marie-Anne, duchesse d’Arcas. Philippe-François n’aurait pu faire valoir ses droits à la couronne de France en temps opportun. Par suite, ce fut Henri de Navarre qui monta sur le trône. Les Bourbons succédaient aux Valois. Pour autant la race n’en était pas éteinte.

Le 25 octobre 1879, Antoine Dujols, frère aîné de Pierre, le libraire érudit supposé grand ami de « Fulcanelli », publia, à Marseille, une plaquette intitulée Valois contre Bourbons réfutant les prétentions du Comte de Chambord et faisant valoir ses droits, titres et documents à l’appui. À la lumière de ces explications, on comprend mieux pourquoi l’homme, qui dissimula son identité sous le pseudonyme de Fulcanelli, témoignait beaucoup d’affection à son ami et « complice ». Par suite de son ascendance – les Medina Coeli – Pierre Dujols avait pour ancêtre celui que l’Histoire connaît sous le nom de comte de Saint-Germain!

 

 

ANNEXE 2 - Les Medina Celi, une famille clef des dynasties européennes

 

 

Au sujet des Medina Coeli – ou Celi –, il faut savoir qu’ils appartenaient à l’une des grandes familles de Madrid et que l’étude de leur descendance nous vaut une singulière découverte. Les Medina Coeli étaient les héritiers d’Alphonse X de Castille, dit Alfonso el Sabio (Alphonse le Savant). Né à Tolède en 1221, mort à Séville en 1284, Alphonse X fut roi de Castille et de Léon (1254-1284). Il fut également empereur germanique (1267-1272). Alphonse X doit d’être connu à son œuvre culturelle, laquelle résume les divers courants, chrétien, arabe et juif, de la civilisation espagnole du XIIIe siècle. Il mit à jour un énorme travail de compilation et est considéré comme le fondateur de la langue nationale, le castillan, qu’il contribua à fixer. Écrivain et poète, il fut l’inspirateur de la Crónica General – premier essai d’une histoire de l’Espagne. Astronome, il fit dresser les tables Alphonsines (1252). Son œuvre fondamentale est un code des lois : Las Siete Partidas. On lui doit ces quelques lignes relatives à l’Alchimie : «  Tous les minéraux renferment le germe de l’or. Ce germe ne se développe que sous l’influence des corps célestes et, une fois ce germe passé à l’état parfait d’or, on peut l’obtenir par l’intermédiaire d’un extracteur particulier. »

Les Medina Coeli descendaient d’Alphonse X par son fils Ferdinand. Alphonse X, eut plusieurs enfants de son mariage avec Yolande d’Aragon, dont Ferdinand, qui épousa Blanche, la fille de Saint-Louis. C’est en faveur de Ferdinand que Saint-Louis renonça à ses droits sur la couronne de Castille qu’il tenait de sa mère. Cette branche est dite de la Cerda. Elle compta, notamment, Alphonse  et le fils de ce dernier Louis, roi des Canaries et amiral de France. Celui-ci fut le père d’Élisabeth de la Cerda, femme du bâtard de Foix (le fils de Gaston III Phoebus) créé duc de Medina Coeli, en 1367. La descendance des Medina Coeli s’éteignit en Espagne en 1958. 

La branche de la Cerda, héritière du trône, occupé par Alphonse X, se trouva spoliée de ses droits à la couronne par Sanche IV, frère de Ferdinand. Sanche dépouilla Alphonse, fils de Ferdinand et héritier direct d’Alphonse X, d’où le surnom de El Desdichado qui lui fut attribué (8). Quant à Alphonse XI, il était le petit fils de Sanche. De lui fut issue la lignée des Cabrera, les Amirantes de Castille.

Parmi les autres enfants d’Alphonse X nous trouvons une Béatrix qui se maria avec Guillaume VII, marquis de Montferrat et Jean seigneur de Valence, qui épousa Marguerite de Montferrat. Le nom des Montferrat, comme celui des Medina Coeli et des Cabrera, est à retenir, car il ne va tarder à s’intégrer dans ce puzzle historique. 

Revenons à la branche des spoliateurs, celle de Sanche. Son petit-fils, Alphonse XI, fils de Ferdinand IV et de Constance de Portugal, épousa Marie, fille d’Alphonse IV, roi du Portugal. Il eut deux fils : Ferdinand, mort jeune, et Pierre le Cruel qui lui succéda. De sa maîtresse, Eléonore de Guzman, dame de Medina-Sidonia, veuve de Jean de Velascos, Alphonse XI eut des jumeaux. Le premier de ces enfants bâtards devint Henri de Transtamare (9) et tua Pierre le Cruel en 1368. Il prit sa place sur le trône de Castille, grâce à l’appui de Bertrand du Guesclin, et fut la tige d’où sera issue la lignée des rois catholiques et Charles Quint, c’est-à-dire les branches d’Espagne et impériale de la maison d’Autriche.

Le second des jumeaux, Frédéric de Transtamare, grand maître de l’ordre de Saint-Jacques-de-l’Épée, massacré à Séville par les séides de Pierre le Cruel, fut le rameau d’où sont sortis légitimement et masculinement les Cabrera, Amirantes de Castille. À ce stade, nous constatons que les Medina Coeli et les Cabrera possédaient des origines royales et étaient cousins. Le fils cadet de Frédéric, Alphonse Enriquez, reçut la charge héréditaire d’Amirante de Castille le 4 octobre 1405, des mains du roi Henri III de Castille. Cette charge lui conférait « droit de juridiction, rentes et droits, et facultés d’avoir des agents dans les ports de mer... »

Le second Amirante, Frédérique Enriquez, premier comte de Melgar, maria en secondes noces sa fille Jeanne à Jean III, roi de Navarre et d’Aragon, laquelle Jeanne fut la mère de Ferdinand le Catholique, mari d’Isabelle, reine de Castille, dont la fille Jeanne la Folle fut la mère de Charles Quint. Ferdinand Enriquez de Cabrera, cinquième Amirante de Castille, fut fait duc de Rioseco par Charles Quint en 1520.

Jean III avait eu d’un premier lit, avec Blanche de Navarre, fille de Charles III, une fille, Eléonore, laquelle épousa Gaston IV, comte de Foix. Le fils d’Eléonore, Gaston, comte de Castelbon, se maria à Madeleine de France, fille de Charles VII qui donna naissance à Catherine de Foix, la mère de Henri d’Albret, l’aïeul du futur Henri IV, roi de France... celui-là même qui régna au détriment du descendant d’un Valois-Médicis et d’une Medina Coeli, ce qu’occultent les manuels historiques et, par conséquent, est ignoré du public. (Voir plus loin)

Le onzième et dernier Amirante de Castille, Jean-Thomas Enriquez de Cabrera, duc de Rioseco, comte de Melgar était, outre les origines que nous lui connaissons, allié deux fois à la Maison de France, d’abord par Anne d’Autriche, fille de Philippe III, épouse de Louis XIII, et sixième petite-fille de Frédéric de Transtamare, premier Amirante de Castille et, ensuite, par Anne-Marie-Thérèse d’Autriche, fille de Philippe IV, mariée à Louis XIV, et septième petite-fille de ce même Amirante. Quant au père de Jean-Thomas-Enriquez, Jean-Gaspar Enriquez, il était allié, par son mariage avec Elvire de Tolède-Ossorio, aux Médicis. En effet, Eléonore de Tolède, fille de Fernando-Alvarez de Tolède, le fameux duc d’Albe, vice roi de Naples, épousa Cosme 1er de Médicis, en 1539. Par conséquent, le dernier Amirante de Castille était uni aux rois d’Espagne et du Portugal, aux empereurs d’Allemagne, à la Maison de France et aux Médicis, en Italie. 

En 1691, à la mort de son père, le comte Jean-Thomas hérita du titre d’Amirante de Castille. En 1697, il perdit sa femme, sœur du duc de Medina Coeli. Il se remaria avec Anne-Catherine de la Cerda, fille de Jean-François, huitième duc de Medina Coeli. Ce mariage marqua le sommet de sa puissance et lui créa de solides inimitiés. Il fut victime de menées visant à le faire exiler. L’Amirante était le personnage le plus influent et le plus puissant d’Espagne, après le roi Charles II, ainsi que vous le savez après avoir pris connaissance de sa biographie.  Qu’il suffise de rappeler que sa seconde épouse mourut en 1698. À dater de ce moment, il semblerait que l’Amirante ait jeté son dévolu sur Anne-Marie de Neubourg, épouse de Charles II roi d’Espagne. À la mort de son royal époux, Anne-Marie aurait cédé aux avances de l’Amirante dont elle partageait l’amour. Pour surprenante qu’elle soit, cette hypothèse a le mérite d’éclairer certaines des zones d’ombre qui entourent la personnalité du noble voyageur qui fut reçu à la cour de Louis XV, lequel se comportait avec lui « comme envers un cousin ». Une telle filiation serait en accord avec ce que le comte disait de lui-même, à savoir qu’il descendait d’un grand d’Espagne. Cette déclaration correspondait avec les confidences faites par des contemporains du comte. En admettant que le comte de Saint-Germain ait été le fils de l’Amirante de Castille, cela expliquerait sa fortune d’origine inconnue, sa grande culture et ses connaissances dans l’art de rendre aux pierres précieuses imparfaites leur perfection. L’Amirante de Castille ayant des agents dans les ports de mer, le comte disposait d’une source importante de revenus dont il pouvait disposer par le jeu des écritures bancaires. Si Saint-Germain naquit véritablement en 1698, il fut effectivement âgé de sept  ans à la mort de son père, survenue en 1705, ainsi qu’il le confia à des proches. Il est probable qu’il fut contraint de fuir. En effet, avant sa mort, l’Amirante projetait de substituer l’Archiduc d’Autriche à Philippe V sur le trône d’Espagne. Il avait eu le projet d’entrer militairement en Castille et en Andalousie.

L’année 1700 fut tragique pour l’Espagne. Charles II, souverain qui n’était plus qu’un pantin, se mourait et il n’y avait aucun prétendant au trône. La lutte pour l’hégémonie se renforça entre l’Autriche et la France. La France l’emporta, grâce aux menées du cardinal Portocarrero. Le traité, rédigé dans le plus grand secret, par le secrétaire d’État Antoine de Ubilla, fut soumis à la signature du roi le 20 octobre, à midi, au Buen-Retiro. Charles II mourut le Ier novembre, à trois heures de l’après-midi. Ainsi disparut un roi qui, selon le mot de Victor Hugo ne « fut pas une figure, mais une ombre ».

Le duc d’Anjou monta sur le trône sous le nom de Philippe V. L’Amirante se rallia au nouveau roi et, en dépit de l’opposition du cardinal Portocarrero, fut nommé ambassadeur  extraordinaire auprès de Louis XIV. Mais l’archevêque de Tolède réduisit sa charge à celle d’ambassadeur ordinaire. L’Amirante, considérant cette nomination comme un exil, prépara son départ, non sans avoir dit son fait à Portocarrero, à la reine Marie-Louise, femme de Philippe V et au roi lui-même. Cela se passa en 1702. La reine douairière Marie-Anne, qui avait été contrainte de quitter Madrid avant l’Amirante par suite de l’hostilité de l’archevêque de Tolède, s’en plaignit à Philippe V. Selon L’Histoire politique et amoureuse du cardinal Portocarrero (1710) la reine ayant refusé d’appartenir au cardinal, ce dernier se vengea en ralliant le camp français. Philippe V répondit à Marie-Anne qu’elle n’avait qu’à choisir une des villes d’Espagne parmi celles qu’il lui proposerait. Malgré cela, la Reine douairière fut finalement reléguée à Tolède par le cardinal.

Pendant ce temps, l’Amirante s’efforçait de reculer son départ. Accompagné du jésuite Cienfuegos, de plusieurs gentilshommes ayant sa confiance et d’un enfant, il se mit en route le 13 septembre 1702. Il emporta ses pierreries et mit en lieux sûrs l’argent dont il disposait, faisant transférer des sommes importantes dans les banques de Venise, Gênes et Amsterdam. Il possédait en outre au moins100 000 écus de rentes en fonds de terre en Espagne et en Sicile. Comme il approchait de la Navarre, il emprunta des routes détournées et gagna la frontière du Portugal, avant que la nouvelle de sa fuite ne soit transmise à Madrid. Une fois à Lisbonne, il donna son soutien au parti de l’empereur et à la maison d’Autriche. À Madrid le cardinal Portocarrero et Madame des Ursins, la camarera-major de la reine, se montèrent les plus acharnés contre l’Amirante. Après son procès (août 1703), le comte de Melgar fut condamné à mort par contumace et ses biens furent confisqués, ce qui provoqua l’indignation de la noblesse et du duc de Médina-Céli qui protesta et s’écria : « On ne doit pas traiter de la sorte des gens comme nous. » L’Amirante répondit  de Lisbonne par un manifeste dans lequel il dénonçait la bassesse de l’archevêque de Tolède et la duplicité de Louis XIV, qui réduisait l’Espagne au rôle de puissance satellite de la France. Ce manifeste déclencha la guerre civile en Espagne. L’empereur Léopold Ier, sur les conseils de l’Amirante, abdiqua ses droits en faveur de son fils, l’archiduc Charles, lequel débarqua à Lisbonne et fut proclamé roi d’Espagne sous le nom de Charles III, avec l’appui des armées et escadres de l’Angleterre, du Portugal, de la Hollande et de l’Autriche.

En dépit de son habilité politique, l’Amirante ne parvint pas à faire adopter ses préférences, concernant l’Autriche, par l’archevêque de Valence. Si cela avait été, il eût été en mesure de porter l’archiduc au trône d’Espagne. L’Amirante, jouit d’une grande faveur auprès du conseil de Lisbonne où l’on cultivait l’espoir que ses amis en Espagne le suivraient. Mais, comme rien ne se produisit, il se retrouva en butte aux critiques. Le peuple en fit le responsable de la guerre. L’archiduc, de son côté, s’impatientait. Bien que blessé par le peu de confiance que lui témoignait l’archiduc, l’Amirante leva, à ses frais, un régiment de cavalerie et lui donna la livrée des rois de Castille. Ses attaques répétées inquiétaient Philippe V. L’Amirante comptait entrer en Castille par l’Andalousie. Cette proposition fut rejetée. L’Amirante exprima, alors, l’intention de rejoindre l’armée d’Estramadure. L’archiduc donna son accord sans empressement et encore parce que le roi du Portugal l’y incita. Lors de son arrivée à Estremoz, frappé d’une attaque d’apoplexie, l’Amirante rendit l’âme le 21 juin 1705. Son corps fut embaumé et mis, provisoirement, dans l’église des Hiéronymites à Bélem, laquelle était le lieu de sépulture des rois du Portugal. 

Mais où l’enfant proscrit trouva-t-il refuge ? Selon le baron de Gleichen, qui conforte les dires du prince de Hesse Cassel, il devint le protégé de Jean-Gaston de Médicis, à Florence. Très versé dans l’étude des langues, ce dernier connaissait le toscan, le latin, l’anglais, l’allemand, le bohême, le français, l’espagnol et le turc. Il avait, de plus, des connaissances scientifiques et était un excellent musicien. Jean-Gaston de Médicis avait disposé des meilleurs éducateurs, grâce à son père.  En outre, le dernier des Médicis était devenu l’oncle de Marie-Anne de Neubourg par le mariage de sa sœur Anne de Médicis avec l’Électeur Palatin, Guillaume de Neubourg, frère de Marie-Anne. Marie-Anne de Neubourg fut-elle, ainsi que le supposait Chacornac, la mère du comte de Saint-Germain ? Si cela était, il se serait agi d’un bâtard, à moins qu’un mariage secret n’ait été contracté avec l’Amirante. Dans ce cas, cela se vérifierait au sein de ses armoiries, puisque, l’héraldique mentionne la bâtardise et comporte des pièces, dites honorables, qui l’excluent. C’est donc le moment d’aller voir ce que nous murmurent ces armoiries.

 

 

ANNEXE 3 - Les armoiries du comte de Saint-Germain

 

 

Gérard de Nerval écrivait que : « La connaissance du blason est la clé de l’Histoire de France ». Il aurait pu ajouter qu’elle était aussi celle de l’Histoire de l’Europe.  S’appuyant sur les travaux de Bernhard Koerner, René Alleau, dans l’enquête bibliographique et historique qu’il rédigea en préface de la Très Sainte Trinosophie, ouvrage d’Alchimie attribué au comte de Saint-Germain, ainsi que nous l’avons déjà dit, tenta une lecture du blason de ce dernier:  

« ... Germain peut être blasonné d’une écharpe rouge et d’or, soit d’Or à la Fasce de Gueules, s’il est lu Ger-man. En effet ger blasonne sur jahr et sur wahr et main sur mond et sur mann... »

Plus avant, René Alleau explique que l’écharpe ou la fasce entourait la taille du combattant à la guerre, en manière de ceinture. Il ajoute que cette fasce était de Gueules car elle avait été teinte, symboliquement, par le sang répandu par les héros de la famille et qu’il s’agissait donc d’une pièce honorable entre toutes. Plus intéressant, encore, Monsieur Alleau fit la réflexion suivante : « Symboliquement, cette ceinture est aussi celle du Zodiaque et des signes de l’année : jahr, blasonnée selon Koerner, par ger. Le sang qui la teint, alors, est celui du soleil ou du Coeur du Monde : ker , dont la couleur rouge marque la perfection. Mais de même que le guerrier, image du soleil, verse son sang dans la petite guerre sainte, l’initié,  vainqueur du combat spirituel qui est la grande guerre sainte, devient, par sa victoire un homme véritable : Wahrman. Ce faisant, il est l’image du Dieu du Ciel ou du Soleil, comme la Lune reflète la lumière de l’astre du Jour. Il est l’image de l’Or vrai comme elle est celle de la vraie lumière qui luit dans les ténèbres du monde inférieur... »

Cette analyse du blason du comte de Saint-Germain comporte nombre de réflexions intéressantes mais, pour autant, ne nous renseigne guère quant à l’identité de celui qui en fut le titulaire. L’énigmatique comte de Saint-Germain n’aurait-il pas livré son état civil, dans ce blason, de façon plus précise ?

 

 

ANNEXE 4 - La lecture du blason du comte de Saint-Germain

 

 

Comme nous le rappelle l’argot, ce langage si imagé, en usage dans le peuple, les termes blason et blaze (le nom) sont proches parents. D’ailleurs, contrairement à ce que prétendent les dictionnaires, il est probable que l’étymologie du mot blason ainsi que de blazer ne soit pas redevable à l’anglais to blaze (flamboyer), dont on ne voit pas bien quel pourrait être le rapport, mais bien à l’ancien français bléser, dérivé de blois (bègue) et ayant donné blèsement (zézayer). Nous sommes donc en présence d’un langage ne s’exprimant pas nettement, ce qui est le cas des armoiries dites chantantes ou parlantes. Le propre des armoiries parlantes est de livrer le nom de leur propriétaire. La lecture s’en fait par le rébus ou la charade, parfois par le biais d’à peu près phonétiques. Les armoiries du comte de Saint-Germain ne dérogent pas à cette règle. Nous sommes en présence d’un champ uni d’or, lequel équivaut à un ciel sur lequel se greffent des partitions qui équivalent à des planètes. En l’occurrence, dans le blason qui nous occupe, nous avons une fasce de gueules, dont la caractéristique est d’être une pièce honorable. Par conséquent, ladite pièce honorable dément formellement l’hypothèse d’une quelconque bâtardise. Cette pièce, ou fasce, ceinture le champ ou ciel en son milieu et peut donc livrer la lecture medina coeli : « le milieu du ciel ». Saint-Germain usa donc du nom de sa famille maternelle et, parfois, du titre de Marquis de Montferrat, auquel il avait droit de  par ses ancêtres, mais également de par son père à qui ce titre avait été concédé. L’or de ce blason pourrait bien faire référence à l’or des armoiries de Castille. Quant au «  de gueules » ou rouge, faut-il y voir une référence au blason de Navarre ? Ce dernier point expliquerait pourquoi Louis XV qualifiait Saint-Germain de « cousin ». Louis XV était un bourbon, comme Henri IV, le Navarrais, dont les ancêtres d’Albret furent ceux de l’Amirante, père du comte!

 

 

Conclusion … définitive.

 

 

Au sein de ce dossier inédit, nous avons échafaudé une série d’hypothèses étayées à partir de données historiques et des confidences des proches contemporains du comte de  Saint Germain qui, toutes, convergent vers une solution unique de l’énigme. Lesdites hypothèses semblent fortement corroborées par la lecture de ses armoiries. Notre intime conviction est que le mystérieux, savant et richissime noble  voyageur qui sillonna l’Europe au XVIIIe siècle était le fils de l’Amirante de Castille et d’une de ses épouses légitimes apparentée à la plus haute noblesse espagnole. Est-il possible d’aller plus loin dans la  démonstration ? La réponse est oui et il est étonnant qu’aucun historien patenté – ou non – n’ait relevé ce qui suit. L’Amirante ayant choisi l’exil, partit le 13 septembre 1702, pour le Portugal. Il aurait été accompagné d’un enfant, sans indication d’âge. Selon Saint-Simon, il se serait agi de son bâtard. Il est le seul mémorialiste à formuler cette hypothèse ; tous les autres chroniqueurs prétendent que cet enfant était le neveu du proscrit. L’Amirante décéda le 21 juin 1705. Qu’advint-il de l’enfant ? Les historiens se montrent muets sur  ce point. Il est probable, compte tenu de la situation critique, qu’il dut s’enfuir afin d’échapper au sort meurtrier qui pesait sur  sa tête. Ceci est à rapprocher des confidences livrées par Saint-Germain et rapportées par Madame de Genlis : «  …Tout ce que je puis vous dire sur ma naissance, c’est qu’à sept ans j’errais au fond des forêts avec mon gouverneur… et que ma tête était mise à prix !... » Mais parle-t-il de sa fuite en compagnie de son père (1702) ou de celle qu’il aurait été contraint de prendre en 1705 ? Toujours est-il que cela ne cadre pas avec les déclarations du prince de Hesse, lequel prétendait que le comte avait 88 ans quand il vint le voir, en 1779, à Schleswig, puis il ajoute : « …il en avait 92 ou 93, lorsqu’il mourut en 1784. » Si nous nous en tenons à ces dates, cela situerait la naissance de Saint-Germain entre 1691 et 1692. On sait que le Prince de Hesse en prenait à son aise avec « ses souvenirs », soit parce qu’il avait la mémoire qui flanchait, soit parce qu’il jugea prudent de « noyer le poisson » en jetant un voile pudique sur ce qui aurait permis de retracer l’état civil de son ami.  En outre, les historiens ne mentionnent aucun enfant légitime qui soit né des deux mariages de l’Amirante. Par suite, Paul Chacornac, dans sa thèse voisine de la mienne, se vit obligé d’émettre l’hypothèse d’un enfant adultérin conçu par Marie- Anne de Neubourg, ce qui est démenti par les armoiries de Saint-Germain, lesquelles  comportent  une pièce honorable excluant totalement la bâtardise. Le nœud de ce mystère ultime peut être tranché si nous admettons le scénario plausible suivant. L’Amirante, âgé de 17 ans, contracta un premier mariage en 1663. Cette union ne semble pas avoir été féconde. L’Amirante se retrouva veuf au début de l’année 1697, mais se remaria la même année avec, de nouveau, une descendante des infants de la Cerda. Il est établi que ce mariage dura peu et que cette seconde épouse décéda le 16 décembre 1698. De quoi mourut-elle ? Mystère ! À moins, et rien ne s’y oppose au niveau des dates, que la jeune mariée ne soit morte lors d’un accouchement ou des suites de cet accouchement… Un enfant légitime éventuel aurait été âgé, en 1705, à la mort de son père, de 7 ans. Ce qui correspondrait donc bien  à ce que confia le comte de Saint-Germain à son entourage.

 

 

(1) Il faut se souvenir que l’illuminisme rosicrucien résulta de l’échec de la tentative qui fut faite par Fréderic V, électeur palatin du Rhin et son épouse la princesse Elisabeth, fille de Jacques Ier  d’Angleterre, de renouer avec la philosophie néoplatonicienne en vogue à la cour de Laurent le Magnifique. Sous le court règne de Frédéric V Prague et Heidelberg vécurent dans une ambiance toute entière dédiée à l’alchimie. La défaite de la Montagne Blanche (8.11.1620) sonna le glas du rêve Bohémien. Qui sait quel visage aurait l’Europe aujourd’hui, si tel n’avait pas été le cas ? Il est probable que les affres d’une Europe technocratique et entièrement soumise à la finance nous auraient été épargnées. 

(2) Le Théâtre d’ombres, comme le cinéma – inventé soi-disant par les frères Lumière, ce qui peut laisser dubitatif – repose sur un procédé technologique qui pourrait se résumer comme l’alchimie par «  permutation de la forme par la lumière… »

(3) Sur la famille Medina Celi, voir l’Annexe.

(4) Il est probable que, concernant cet aspect de l’œuvre de Raymond Roussel, Perec bénéficia des confidences de François Le Lionnais (co-fondateur de l’Oulipo) et de Marcel Duchamp.

(5) Voir le tome 2 de la Langue des oiseaux, intitulé Georges Perec mode d’emploi… à propos d’une Disparition, à paraître aux éditions Dervy.

(6) Ses efforts.

(7) Cf. « Vous êtes le sel de la Terre » dans les Évangiles.

(8) Contrairement à une idée reçue, il n’est pas assuré que le poème, de Gérard de Nerval, soit redevable de son titre à un  personnage du Ivanhoé de Walter Scott, car « l’Aquitaine à la tour abolie » pourrait bien faire référence à la cession de l’Aquitaine.

(9) Les lecteurs passionnés par l’histoire de Rennes-le-Château savent sans doute que ce fut l’un de ces Transtamare qui s’opposa aux seigneurs de Voisins et anéantit la cité du Rhedae, la mettant à feu et à sang et détruisant l’église Saint Pierre. Cela se passait en 1362.

 

 

 

RICHARD KHAITZINE (FRANCE)
Écrivain, romancier, historien, critique d’art et scénariste français, né le 20 septembre 1947 à Paris et demeurant à Paris.
Il est issu d’une famille de juifs russes émigrés d’Odessa en 1914.
Au cours de sa carrière d’écrivain, il a publié une trentaine d’essais, dont plusieurs sont devenus des livres de référence, sur des sujets aussi divers que la littérature, la peinture, la Franc-maçonnerie, le symbolisme, les religions et l’hermétisme. Tous ces travaux font une large part à l’histoire de l’alchimie, aux arts et traditions populaires qui en sont les véhicules. Il est l’auteur, également, de deux romans.
Il a participé au colloque de Lisbonne en 1999 et à celui de Quinta da Regaleira en 2009. Richard Khaitzine se définit comme «un agitateur d’idées, un penseur libre, un résistant qui refuse le terrorisme intellectuel et la pensée stérilisée imposés par ceux qui séquestrent la culture dans des nécropoles dont ils se sont autoproclamés les gardiens. » Il est membre de la Société des gens de lettres depuis 1998.
Quelques titres publiés :
* La langue des Oiseaux (tome 1) Le second tome consacré à Georges Perec et à Raymond Roussel est en cours de publication. * De la Parole voilée à la Parole perdue
* Marie Madeleine et Jésus. * Quand la Terre gronde. * La Joconde, histoire, secrets et énigme. * Le Comte de Saint-Germain, hypothèse et affabulations.
* Peter Pan… pour une lecture intelligente des contes.
Sa biographie complète est visible sur Wikipédia
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