ISSN 2182-147X  . EDITOR | TRIPLOV . Contacto: revista@triplov.com . Dir. Maria Estela Guedes . PORTUGAL .
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Revista TriploV de Artes, RELIGIÕES & Ciências . Ns . Nº 58. maio-junho 2016 . Índice
 
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Richard Khaitzine (1947-2013) est un écrivain français qui a assez publié au Triplov.
Biographie et bibliographie in: https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Khaitzine
RICHARD KHAITZINE

À la découverte des demeures philosophales
Promenades hermétiques
 

GUIDE NUMÉRO 1

«CES ÉGLISES PARISIENNES QUI NOUS PARLENT D’ALCHIMIE»  

 

-Définitions-  

 

* Qu’est-ce que l’Alchimie ?

Également dénommée Art d’Hermès, du nom du dieu Grec, ou Art de Musique, l’Alchimie est  une Science et un Art. Elle n’a aucun point commun avec la chimie rationaliste. L’Alchimie est une philosophie, une métaphysique. C’est ce qui fit écrire au plus grand des alchimistes contemporains : « La chimie est, incontestablement, la science des faits, comme l’alchimie est celle des causes. La première, limitée au domaine matériel, s’appuie sur l’expérience ; la seconde prend de préférence ses directives dans la philosophie. Si l’une a pour objet l’étude des corps naturels, l’autre tente de pénétrer le mystérieux dynamisme qui préside à leurs transformations. » (Fulcanelli-Les Demeures Philosophales-Tome1).

 

Ce même auteur précise : « Au surplus, il ne nous paraît pas suffisant de savoir exactement reconnaître et classer des faits ; il faut encore interroger la nature pour apprendre d’elle dans quelles conditions, et sous l’empire de quelle volonté, s’opèrent ses multiples productions. L’esprit philosophique ne saurait, en effet, se contenter d’une simple possibilité d’identification des corps ; il réclame la connaissance du secret de leur élaboration. » Contrairement au chimiste qui s’attache à l’étude de la matière inerte, l’Alchimiste dirige ses recherches vers l’animateur inconnu, agent de tant de merveilles. »

 

Cette différence qu’établit Fulcanelli entre la science positiviste et l’alchimie on peut en retrouver l’écho sous la plume de l’un de nos plus grands auteurs populaires du XXe siècle. On peut lire sous la plume du jovial et facétieux Gaston Leroux, dans «  Le Mystère de la chambre jaune », cette réflexion du jeune reporter Joseph Rouletabille, évoquant le mode de travail du policier Frédéric Larsan : « J’ai cru que Fred était beaucoup plus fort que cela... Evidemment, ce n’est pas le premier venu... J’ai même eu beaucoup d’admiration pour lui quand je ne connaissais pas sa méthode de travail. Elle est déplorable... Il doit sa réputation uniquement à son habilité ; mais il manque de philosophie... ». Ce qui pourrait passer pour une coïncidence n’en est pas une, et il y aurait beaucoup à dire en ce qui concerne l’Oeuvre de l’auteur du « Fantôme de l’Opéra ».[1]

 

La seule définition valable de l’alchimie est celle qu’en donna Fulcanelli : «  L’Alchimie est la permutation des formes par la lumière, autrement dit le feu, ou mieux l’Esprit »

 

*Demeures Philosophales :

 

Cette expression désigne « tout support symbolique de l’hermétique Vérité, quelles qu’en pussent être la nature et l’importance. À savoir, par exemple, le minuscule bibelot conservé sous vitrine, la pièce d’iconographie, en simple feuille ou en tableau, le monument d’architecture, qu’il soit détail, vestige, logis, château ou bien église, dans leur intégralité. »

 

 

LES ACTEURS DU DRAME ALCHIMIQUE.

 

* Le Sel

* Le Soufre

* Le Mercure

 

Les anciens admettaient que l’Homme possédait une composition trinitaire, qu’il était constitué d’un corps, d’une âme et d’un Esprit et qu’il y avait identité de nature entre la substance ( la matière) et l’essence des choses ( ce qui en est l’origine). Cette approche constitue la fameuse théorie de l’unité de la matière qui fut violemment combattue et ridiculisée par la science officielle, du moins jusqu’à ce que les découvertes de la physique quantique (de quanta : grains d’énergie) aient bouleversé nos conceptions de l’univers. De nos jours, les physiciens admettent que, l’origine de la matière pourrait bien résider dans la Lumière, voire dans un dynamisme vibratoire, ce qui est plus exact.

 

Dans ce système de pensée, l’Esprit ou essence première volatile donne naissance à l’âme, celle-ci engendrant le corps en s’y fixant. Par suite, âme et corps participent de la nature de l’Esprit. Les religions n’ont jamais enseigné autre chose. Aussi ce n’est pas sans logique que le célèbre texte connu sous le nom de Table d’Émeraude, et attribué à Hermès, affirme que : «  ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et que ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ». Pour les anciens, il n’existait pas de différence concernant la constitution des trois règnes. Ce qui était vrai dans le règne animal -dont l’Homme- l’était nécessairement dans le domaine du végétal et du minéral, et ce qui s’appliquait à notre Terre restait vrai au niveau de l’Univers.

 

Le terrain d’élection des alchimistes fut exclusivement le règne minéral. Les textes hermétiques, lorsqu’ils mentionnent le Sel, le Soufre et le Mercure, n’entendent pas nous parler des corps chimiques vulgaires que nous désignons par ces noms. Ces trois mots désignent respectivement le corps, l’âme et l’Esprit des métaux. Tout l’art de l’Alchimiste, ou du Philosophe par le feu, comme on le nomme parfois, consiste à savoir fixer le volatil (faire descendre l’esprit dans le corps) et à volatiliser le fixe (spiritualiser le corps ou matière). Dans ce double processus réside tout le secret de la vie et de la mort et c’est la connaissance de ces mécanismes qui fonde l’Alchimie.

 

Pour autant, ce fixe et ce volatil ne se trouvent jamais, dans la réalité, séparés l’un de l’autre. Car nulle part dans l’univers on ne saurait concevoir d’esprit qui ne soit revêtu de quelque matière, aussi ténue soit-elle, pas plus que de matière qui ne renferme de l’esprit. Dans la pratique de l’Oeuvre, l’agent ne se présente jamais sans le patient, ni le patient sans l’agent. Il n’est pas de mercure qui ne porte son soufre, ni de soufre qui ne soit baigné dans son mercure. Aussi n’est-il pas rare de voir dans les traités le sel porter le nom de soufre ou celui de mercure, en fonction de la phase considérée dans le processus opératif et donc de l’avancement des travaux. Là réside la première des difficultés à surmonter, comprendre ce qu’on lit ! 

 

L’ALCHIMIE...UNE AGRICULTURE CÉLESTE

 

Les anciens désignaient souvent l’alchimie sous le nom d’agriculture céleste -eux-mêmes se faisant appeler Laboureurs du Ciel – parce qu’elle offre dans ses lois, ses circonstances et ses conditions le plus étroit rapport avec l’agriculture terrestre. De même qu’il faut une graine afin d’obtenir un épi, de même il est indispensable d’avoir tout d’abord la semence métallique afin de multiplier le métal. Chaque fruit porte en soi sa semence, et tout corps, quel qu’il soit, possède la sienne. Le pivot de l’art consiste à savoir extraire du métal ou du minéral cette semence première. C’est la raison pour laquelle l’artiste doit, au début de son ouvrage, décomposer entièrement ce qui a été assemblé par la nature, car quiconque ignore le moyen de détruire les métaux, ignore aussi celui de les perfectionner. Telle est la raison d’être du célèbre axiome « Solve-Coagula » (dissoudre et coaguler). Cet axiome a été magnifiquement illustré, en littérature par l’écrivain Raymond Roussel (1877-1933) dans son livre Les Nouvelles Impressions d’Afrique. En effet, ce livre, étrange, Roussel le rédigea, puis il le fractionna, en partie, en cinq textes mis entre des parenthèses allant d’une parenthèse simple à des parenthèses quintuples, de façon à obtenir six textes. Puis il ajouta un septième texte par voie de notes, à charge pour le lecteur de réunir les fragments. Cet exercice de style agace encore la perplexité des exégètes. Malicieusement, Roussel avait pourtant expliqué, de son vivant que, primitivement, il avait eu l’intention de composer son livre à l’aide d’encres de couleurs différentes, mais qu’il avait dû renoncer à ce projet en raison du coût élevé de l’entreprise. Roussel étant milliardaire à l’époque, on ne peut que s’en étonner. En réalité, Raymond Roussel souhaitait attirer l’attention de ses lecteurs potentiels sur Les Sept nuances de l’Oeuvre, expression qui s’appliquait tout autant à sa création littéraire qu’à l’Alchimie, dont l’un des textes les plus connus porte ce titre. Par conséquent, Les Nouvelles Impressions d’Afrique n’étaient qu’une allégorie souriante de l’Art hermétique et de son axiome. Personne ne s’en étonnera sachant que Roussel avait pour précepteur un homme qu’il surnomme, affectueusement, Volcan, dans un livre posthume, et que ledit précepteur ne fut autre que le futur signataire du Mystère des Cathédrales et des Demeures Philosophales : Fulcanelli.

 

Ayant obtenu les cendres du corps, celles-ci seront soumises à la calcination, qui brûlera les parties hétérogènes, adustibles, et laissera le sel central, semence incombustible et pure que la flamme ne peut vaincre. Ce sel central, les alchimistes lui ont appliqué les noms de soufre, premier agent ou or philosophique. Le soufre est la partie mâle de l’Oeuvre.

 

Quant au Mercure, ou part femelle, il constitue la mère et la nourrice de cette semence d’où naît l’embryon. L’Oeuvre commence par la recherche des moyens simples et efficaces capables d’isoler ce mercure métallique, de le purifier et d’exalter ses facultés à l’instar du paysan qui augmente la fécondité de l’humus en l’aérant fréquemment, en lui incorporant les produits organiques nécessaires. Tout l’art alchimique se résume à découvrir la semence, soufre ou noyau métallique, à la jeter dans une terre spécifique, ou mercure, puis à soumettre ces éléments au feu, selon un régime de quatre températures croissantes. Il y a un parallèle intéressant à établir entre le bain ou liquide mercuriel, engendrant l’embryon de Soufre, et le liquide amniotique au sein duquel se développe le foetus.

 

Origines et supports de L’Alchimie

 

L’Alchimie est née en Orient et s’est répandue en Occident par les voies byzantine, méditerranéenne et hispanique. Les Arabes éducateurs des Grecs et des Perses transmirent à l’Europe la Science d’Égypte et de Babylone. Au XIIe siècle, ce furent les Croisés qui importèrent la plupart des connaissances anciennes de Palestine. Les mythologies, les religions, la sculpture, l’architecture religieuse et civile, la peinture, la littérature,  les contes pour enfants, les comptines et les locutions populaires, furent autant de véhicules qui, sous le couvert d’un sens littéral, transmirent des connaissances ésotériques. Pour ce faire, les artistes utilisèrent un langage particulier basé sur les à-peu près phonétiques.  Les rébus, les charades, les homophonies, les jeux de mots furent autant de moyens dont usèrent les Philosophes afin de masquer leur pensée. Ainsi qui s’est aperçu que « Peter Pan » (la Pierre Universelle) n’était qu’une allégorie d’Hermès( maître des lieux souterrains, de la mer et des airs) et de la Pierre Philosophale? De même, les contes de Ma Mère l’Oye, repris par Perrault, sont à bien entendre (oyez... oyez... disaient les anciens pour écouter) et possèdent la même fonction. Les locutions « faire du potin, du tintamarre ou un potin de tous les diables » sont les gardiennes de la Tradition alchimique et cachent l’identité du métal à utiliser.   Les jeux (de l’Oie, échecs, Nain Jaune etc...) les fêtes (Galette des Rois, Chandeleur, Mardi-Gras...) sont autant de véhicules du symbolisme alchimique. En sculpture la démarche était la même et les images remplaçaient les mots. Ainsi, un Singe, sculpté sur un édifice et montrant ses fesses, désignait l’Alchimiste, celui qui singe ou imite la Nature et s’il montrait de façon impudique son « cul », c’était afin de suggérer l’anagramme « Luc »: la Lumière, celle dispensée par la Lune, terme dont le langage populaire se sert afin de désigner, justement, le postérieur... et ses deux quartiers!  Si la façade des Cathédrales affecte la forme graphique de la lettre H  1 c’est pour le même motif. En effet, il s’agit de l’initiale de Hélios ( le soleil) et de Héllé (la déesse Lune des grecs archaïques). Toute faute de gravure ou objet pointé du doigt par un personnage étaient destinés à attirer l’attention du visiteur sur le caractère symbolique de l’oeuvre nécessitant une lecture différente. Les monuments ou même les objets comportant un message de nature alchimique sont dits être des « Demeures Philosophales ». Les reconnaître est aisé, dès lors qu’ils sont accompagnés de l’objet suivant:

Ce ruban, ou listel est un phylactère, un ornement dont l’équivalent grec a le sens de « garder, préserver, conserver », car sa fonction est de protéger le sens occulte de la composition qu’il accompagne. De même, cette figure losangée ◊ ou rhombe est souvent l’indice qu’il vaut mieux se méfier.  En effet, le mot qui, en grec, désigne un rhombe,visible sur la cheminée du château de la famille d’Estissac-les protecteurs de Rabelais dont toute l’oeuvre possède un caractère alchimique-2 a le sens de « se tromper, s’égarer, tourner autour de ». Dans le domaine de la littérature populaire, même au XXe siècle, nous retrouvons d’amusantes allégories. Ainsi, comme nous l’avions déjà donné à entendre, Arsène Lupin, par exemple, gentleman-cambrioleur force les portes les plus hermétiquement closes, tout comme les coeurs féminins, et toujours avec « Esprit ». Quoi de plus normal puisqu’il est une image du « Mercure » qui, comme lui, est insaisissable et change de formes et de noms à volonté?3 Et, d’ailleurs, le dieu grec Hermès, devenu le Dieu Mercure des Romains, n’est-il pas le patron des voleurs? On notera, avec amusement que le prénom de Lupin, Arsène, est proche phonétiquement de Larsan, personnage de Gaston Leroux, policier et meurtrier. Larsan et Arsène désignent le mâle, l’Homme. Si Leroux appela ainsi son criminel, c’est afin de rappeler ce que disent les Alchimistes des métaux, à savoir que ces derniers, dans la mine, « ont été tués par l’industrie humaine ». Nous verrons ultérieurement que Le Mystère de la Chambre Jaune n’est pas seulement une énigme policière visant à expliciter comment l’assassin s’y est pris afin d’entrer, puis de sortir d’une pièce hermétiquement close...ce qui se montre déjà très allusif de l’Alchimie.

 

Si Arsène Lupin symbolise le Mercure alchimique de L’Oeuvre, qualifié de blanc, les personnages de Gaston Leroux, « souffrent » tous parce qu’il en fit des allégories du « Soufre », acteur de l’Oeuvre au rouge. 

 

Sur un plan technologique, le Théâtre d’Ombres du célèbre cabaret Montmartrois « Le Chat Noir (1881-1897), cabaret qui fut fondé par l’Alchimiste Fulcanelli et ses amis, tous membres du gotha artistique, politique et industriel de l’époque, ainsi que le cinématographe des frères Lumière, reposent sur le principe de « la permutation des formes par la lumière », dont nous avons dit qu’il s’agit de la définition exacte de l’Alchimie.

 

La transmutation des métaux en or est-elle possible?

 

La réponse est oui, bien qu’elle soit de peu d’intérêt et ne soit pas le but recherché. En fait il s’agit d’un simple test destiné à prouver que l’Alchimiste est sur la bonne voie, celle qui mène à l’obtention de la Pierre Philosophale qui lui permettra d’accéder à « une forme d’immortalité » et non à l’immortalité physique. La transmutation en argent ou en or des métaux (étain, plomb...) se réalise à l’aide de deux sortes de poudres dites de « projection ». L’or obtenu est à 24 carats, mais plus pur que l’or en circulation, ce dernier comportant des impuretés, ce qui n’est pas le cas de l’or alchimique. Au début du XXe siècle, un alchimiste français se présenta à l’Hôtel de la Monnaie afin de vendre sa production -76 kilos d’or alchimique. L’Administration se saisit de cet or au prétexte qu’il était interdit de savoir le fabriquer. L’affaire fit quelque bruit. Outre ce fait, les preuves matérielles et historiques de transmutations effectuées et réussies abondent.

 

Des pièces obtenues à partir d’or alchimique ont été reproduites dans la « Revue Numismatique » de 1867. Lesdites pièces furent frappées chez le Landgrave de Hesse et à la cour du Roi de Suède Gustave-Adolphe. En 1648, à Prague, le Roi Ferdinand III assista à une transmutation et fit frapper une médaille avec l’or obtenu. Il existe de nombreuses autres pièces et médailles de ce type. La preuve la plus éclatante de l’authenticité des transmutations est de nature juridique. Au XVIIIe siècle, Lascaris, pourchassé, trouva refuge au château de la comtesse Anne-Sophie d’Erbach. Afin de remercier la Dame, Lascaris proposa de transmuter sa vaisselle d’argent en or. Lascaris transmuta une vieille bassine. Le lingot obtenu fut analysé par un orfèvre et reconnu comme étant bien de l’or. La Comtesse confia toute sa vaisselle laquelle fut transmutée d’argent en or. L’affaire eut des suites. La Comtesse vivait séparée de son époux Frédéric-Charles, or ce dernier ayant appris l’histoire de cette transmutation, réclama  sa part au prétexte qu’il s’agissait d’une augmentation du capital familial. Il fut débouté par arrêt du Tribunal de Leipzig, en 1733 (Putonei, Enunciata et consilia juris Leipsiae, 1733).

 

Quant à la recherche de « l’Immortalité » la place nous manque pour en traiter, d’autant que pour comprendre, il nous faudrait  rédiger de longs développements concernant les relations entre la philosophie fondamentale du Bouddhisme d’origine, selon laquelle le «  monde est illusion », et le nouveau credo de la physique, laquelle reconnaît que la matière n’existe pas en tant que telle, qu’elle est « un comportement sensible, un événement devenu tangible », autrement dit qu’elle est virtuelle et en perpétuel devenir. Ce propos n’est pas sans résonance avec un film américain, devenu déjà culte: « Matrix » (la Matrice). Ceci  trouve un écho curieux avec le fait que l’Alchimiste cherche à réaliser l’union de la lumière et de la matière et que, pour ce faire, il commence par préparer la « matrice » que constitue ladite matière. « L’immortalité » en question doit se concevoir comme une traversée du « miroir des apparences », ainsi que suggéré par Jean Cocteau dans « Orphée ».

 

L’Alchimie est-elle catholique ?

 

Le terme catholique possédant l’acception d’universelle, l’alchimie est effectivement catholique. Pour autant, il serait téméraire de vouloir la subordonner au dogme de l’Église et ce serait mettre la charrue avant les boeufs ! Il est probable que les Alchimistes, héritiers de la Gnose d’Alexandrie, n’ignoraient rien des conditions douteuses qui présidèrent à l’apparition des dogmes chrétiens. Ils usèrent de la l’hagiographie chrétienne comme ils l’avaient fait de la mythologie et du panthéon païen, afin d’illustrer leurs propos.

 

Contrairement à ce que voudraient donner à entendre certains milieux officiels, les cathédrales et les églises ne sont pas uniquement des lieux voués exclusivement au culte. Le caractère profane de l’inspiration des lapicides qui en exécutèrent la statuaire suffirait à démontrer l’inanité d’une telle thèse. Ce furent les Frimasons ou Francs-Maçons du moyen-âge qui édifièrent les chefs-d’oeuvre du Gothique, encore dénommé Art Ogival. L’Art Gothique ne doit rien aux Goths, il est expression de l’argotique ou de l’art goétique. Les Frimasons étaient des argotiers ou argo-nautes et usaient du langage parlé sur le navire Argo, vaisseau( mot ayant anciennement aussi le sens de vase) menant Jason à la conquête de la Toison d’Or. Ce mythe n’est, au demeurant, qu’une allégorie expressive et naïve de l’une des voies alchimiques, celle qualifiée d’humide, par opposition à la voie dite sèche. Cette langue, était la Langue Verte : l’Argot, le langage des initiés, la cabale phonétique, le petit langage des enfants, le pun, la langue du cheval de Jonathan Swift, le gay-sçavoir, le lanternois, la gaye-science de Rabelais, le jobelin, le coquillard de François Villon, la Langue des Oiseaux, ou des oisons, selon la forme ancienne, à l’époque de Marie de France, expression à entendre, en franglais : oie-sons... les Fils de l’Oie. L’art gothique est l’art χο (cot), mot grec signifiant lumière. Par suite, le Gothique est l’art de la lumière ou de l’Esprit. Par suite, il n’est pas étonnant de constater que les monuments religieux soient des pendants de l’architecture civile et aient servi de supports au symbolisme hermétique et alchimique. Les églises et cathédrales nous parlent moins la Langue des grenouilles de bénitier, que la Langue des Oiseaux.

 

Les fondements du christianisme 

 

 

Les faits rapportés comme historiques par les religions ne sont pas plus authentiques que ceux mentionnés au sein des mythologies et, à ce titre, sont loin d’avoir valeur de paroles d’évangiles. Concernant le christianisme, il est bon de rappeler, en bref et sans vouloir être polémique, les faits suivants :

 

Après la défaite de Juda-bar-Juda-fils de Juda le Gaulonite, Messie (messiah en hébreu et christos en grec) historique, c’est-à-dire oint ou consacré et descendant de David, prétendant légitime au trône d’Israël, la nation juive vit ses espérances décliner. En 70, Titus pille Jérusalem. La rébellion va gronder une dernière fois, menée par Bar Kocheba (le fils de l’Étoile... celle mentionnée comme étant radiante qui se trouve associée au rejeton de la race de David, par le Christ chrétien- ce qui est pour  le moins troublant et inexplicable si l’on use d’une lecture littérale- au sein de l’Apocalypse du pseudo Jean. C’est que contrairement à ce que l’on nous en dit aujourd’hui, ce texte n’a jamais été un livre prophétique. Il s’agissait d’un manifeste guerrier et politique prêché à l’encontre des goïms ou non-juifs dès le premier siècle. Ce texte, qui n’existe pas encore imprimé- il ne le sera qu’un siècle plus tard- est en fait le tout premier livre du canon catholique connu sous la dénomination de Nouveau Testament. Croire qu’il s’agit du dernier livre prouve une méconnaissance totale des hébreux et de l’histoire de cette période. En effet chacun sait que les juifs écrivent de droite à gauche, contrairement à nous, et qu’ils classent de même, à l’envers. Par conséquent, ce qui est le premier texte pour nous, s’avère être le dernier pour un lecteur hébraïque ; ceci se vérifie dans la version juive de l’Ancien Testament, puisque la Genèse en est le dernier passage et non le premier.

 

Bar Kocheba était le petit-fils de Juda-bar-Juda, le prétendant au trône, crucifié par les romains à l’âge de cinquante ans. En 135, l’Empereur Hadrien passe la charrue sur Jérusalem, rasant la cité. La révolte juive est définitivement éteinte...

 

Dans les premiers siècles, la Palestine devient la plus grosse entreprise de fabrication de faux en matière de religion. Petit à petit sont fabriqués l’Apocalypse (IIe siècle), à partir des Cinq Livres du Rabbi ou Commentaires de Papias, puis les Lettres et Actes des Apôtres. Saül, persécuteur des Christiens (et non chrétiens, il s’agit d’une secte juive nationaliste) est transformé en Paul, par falsifications  successives des scripteurs – suppression du tréma et remplacement du S par un P- afin d’occidentaliser son nom. L’évangile selon Jean est rédigé à partir de l’évangile gnostique de Cérinthe et des textes d’Hermès. Trois autres évangiles sont fabriqués, entre les IVe et VIe siècles, les synoptiques (évangiles se recoupant) qui, en fait ont été synoptisés... ce qui n’est pas tout à fait la même chose ! Ces textes seront censurés, manipulés, sujets à des interpolations postérieures et tardives. Ces manipulations suffisent à expliquer qu’aucun manuscrit des évangiles, dits canoniques, formant le Nouveau Testament, ne puisse être présenté qui soit antérieur au IVe siècle.

 

Tous les Pères de l’Église furent des auteurs Juifs, écrivant en grec, à destination d’un public juif, dans un esprit juif. Ils portaient tous des noms juifs, mis plus tard à la mode occidentale. Les preuves de cette supercherie abondent. Concernant les faux en écriture dont il vient d’être question, l’une des meilleures preuves de cette assertion nous est fournie par l’un des Pères de l’Église et non des moindres .Ainsi, Eusèbe (IVe siècle) mentionnant Irénée (IIe siècle) indique que ce dernier tenait des disciples que le Christ « avait prêché jusqu’à sa cinquantième année » !!!? Au IVe siècle, les Pères de l’Église ignoraient donc que le Jésus des Évangiles était mort à trente-trois ans !

 

Dans le même ordre d’idées, comment expliquer que le pseudo Jean, après avoir été martyrisé, se soit échappé par la Porte Latine et ce au 1er siècle, alors qu’elle ne fut construite qu’au IIIe ? Ceci suffirait à prouver l’invention tardive de cette fable.

 

Le Jésus des Évangiles fut « incorporé » tardivement à l’Eon (l’Esprit) des gnostiques, puis fut divisé en plusieurs personnages, tous aussi fictifs : St Jean, dit le Baptiste, St Jean l’Apôtre, St Jean auteur de l’Apocalypse. Là aussi, les preuves abondent, pour ceux qui savent lire, qui ne s’arrêtent pas à la lettre et ne se contentent pas d’idées reçues ou fabriquées...

 

Au-delà de ces mystifications littéraires sur ce Jésus, ou Juda de chair, fut greffé l’éternel mythe luno-solaire, puis le symbolisme alchimique transfuge des mythologie de Sumer, de Babylone, d’Égypte, de Grèce et de Rome. Le mythe chrétien étant plus linéaire, ne comportant plus un panthéon de dieux et de déesses multiples, localisé dans l’espace et dans le temps, devint un exposé hermétique simplifié.

 

LA VISITE 

 

L’église Saint Paul et Saint Louis-

 

Située sur l’ancien emplacement du cimetière Saint-Paul, où fut enterré le célèbre, à défaut d’être identifié, Masque de Fer, cette église intrigue par l’association des noms de ses saints patrons. Concernant Saint-Paul, nous avons vu, préalablement, ce qu’il faut en penser au plan historique et religieux. Quant à Louis IX, l’on peut raisonnablement se demander en quoi il mérita d’être qualifié de Saint puisque, après tout, il fut responsable d’un génocide lors de la croisade menée à l’encontre des Albigeois. Il convient donc d’aller y voir de plus près.

 

Avant même d’entrer, le visiteur, s’il prend la peine de lever les yeux, sera surpris de découvrir sur la façade un blason lequel, conformément à l’étymologie du mot, lui fera d’intéressantes confidences héraldiques[2]. Ce blason porte trois fleurs de lys et une étoile à huit branches ou Rai d’escarboucle. Dans le domaine, extrêmement codifié, de la science héraldique, le rai d’escarboucle désigne toujours la possession de la Pierre Philosophale. Cette interprétation héraldique nous est, d’ailleurs confirmée par la lecture du Roman de la Rose. Si Guillaume de Lorris nous y décrit la Fontaine de Narcisse, son confrère Jean de Meung préfère nous entretenir de la Fontaine de vie sise dans un cercle où brille l’escarboucle. Le Roman de la Rose  ou « toute l’art d’amour est enclose » étant un roman à clefs et la Rose désignant le plus souvent la Pierre Philosophale, ou le Soufre philosophique la livrant, nous sommes fixés.

 

Quant aux 3 lys –ainsi orthographié ce mot ne désigne pas la fleur ordinaire, il évoque plutôt la lumière- ils suggèrent les trois Pierres des traités alchimiques, à savoir le soufre philosophique, l’élixir ou or potable et la Pierre Philosophale.

 

L’Horloge du fronton nous renseigne également, sans pour autant se limiter à nous donner l’heure. Placée au centre d’un soleil et de la lune, ladite horloge nous rappelle, si besoin était que l’or dont il est question en Alchimie n’est pas le métal natif. L’écrivain écossais James Barrie, auteur de Peter Pan (l’étymologie en est : La Pierre Universelle ou Philosophale), exposa ce point d’une façon amusante. Souvenons-nous... Le Capitaine Crochet passe au vert dès qu’il entend l’inquiétant tic-tac annonçant la présence, dans les parages immédiats, du crocodile vorace qui, non content de lui avoir dévoré le bras, a englouti une horloge ! L’explication de ce clin d’oeil réside dans le fait que le crocodile s’était vu consacré une ville par les égyptiens. Emblème du dieu Toth, inventeur du comput lunaire, le crocodile était également associé à la lune. Quant à Toth, il fut assimilé à Hermès puis à Mercure. Mais pourquoi cette référence à une horloge ? Parce que jusqu’au XIVe siècle, cet objet était dénommé oriloge, ce qui phonétiquement s’entend l’Or y loge. Où loge donc cet or ? Dans la Lune et le Soleil si manifestement mis en évidence par l’horloge de l’église St-Paul-St Louis. La lettre H, ajoutée après transformation de ce mot, confirme cette interprétation puisque, dans son graphisme, ladite lettre –comme l’êta de l’alphabet grec- symbolise l’Esprit, ce mystérieux dynamisme présidant à la vie de tout ce qui est. C’est ce H, initiale de hélios (le soleil) et de héllé(la lune) qui peut se contempler au fronton des cathédrales dont la façade en affecte la forme caractéristique.

 

À l’intérieur, sur la gauche, le visiteur s’arrêtera devant le tableau représentant Joseph et son fils oeuvrant dans leur atelier. Si, dans la réalité, Joseph ne put être débordé par l’ouvrage, les charpentes étant déjà rares à l’époque, en Palestine, il est certain que cette toile peut se montrer loquace. Les outils, ainsi que le triangle délimités par la règle, sont fortement évocateurs du symbolisme maçonnique, celui d’avant la Pierre, celui de la maçonnerie forestière ou... du bois, laquelle était opérative et préoccupée, à ce titre, de l’Oeuvre qualifié de Grand. Notons que les coquilles des bénitiers furent offertes par Victor Hugo en l’honneur du baptême de son premier enfant : Adèle. Poursuivant son périple, le promeneur sera sans doute fortement étonné en découvrant les étranges panneaux de bois recouvrant les murs.

 

Que peuvent bien signifier ces nez, de formes variés, ornés de moustaches et placés au centre d’un sujet bordé de plumes. Ce n’est pas le moment de céder à l’assoupissement, auquel invite l’argotique  plumard, mais plutôt l’instant d’avoir le nez creux ou du nez. Le rébus est - à condition d’avoir de l’intuition et en l’occurrence du flair- relativement aisé à comprendre, d’autant que l’expression cela se voit comme le nez au milieu de la figure possède la signification de c’est très apparent. Telle est également l’étymologie du terme phanère (en grec phaneros : apparent) qualifiant, notamment, des plumes. En ajustant sa vision l’observateur s’apercevra que ce plumage est celui d’une chouette, très stylisée. Les Grecs  avaient fait de cet oiseau nocturne -et par conséquent consacré à la Lune- l’emblème de la déesse Athéna, présidant à la sagesse et à la connaissance, connue aussi sous le nom de Pallas. Les Alchimistes du passé se firent, d’ailleurs, appeler fréquemment Chevaliers de Pallas. Le symbolisme d’Athéna est riche en enseignement. Mais pourquoi la chouette d’Athéna se trouve-t-elle associée à un nez et à des moustaches ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre. Athéna est l’équivalent de la déesse sumérienne Anatha (Reine du ciel...la Lune).

 

Après avoir avalé Métis la Titanide, Zeus fut pris de violents maux de tête. Héphaïstos(Vulcain) lui ouvrit le crâne à l’aide de son coin et de son maillet. De la brèche, ainsi pratiquée, sortit Athéna. Sous le mythe transparait le symbolisme alchimique. Héphaïstos (le feu secret) est l’artisan de cette naissance. De Zeus (ou Iu-pater, le dieu père, le soleil) et d’Athéna (la lune) va naître la matière nécessaire à l’avancement du Grand-Oeuvre. Rappelons-nous qu’à Athéna (également nommée Pallas) était consacré le cheval, celui-là même dont la statue fut introduite dans Troie : le palladion. Ce mot signifie Pierre.  Palladia possède le sens de choses jetées du ciel. Le jeu de la Marelle au cours duquel les enfants (pallas désigne aussi indifféremment les jeunes filles et les jeunes garçons) poussent de la Terre vers le Ciel un palet se montre tout aussi expressif. Enfin, si nous ajoutons que Iahu (la colombe d’en haut), à Sumer, désignait la Lune visible, avant d’échoir à Iahvé Créateur, nous serons en possession de tous les élément nécessaires, puisque la Colombe a toujours été le symbole de l’Esprit.

Revenant à nos panneaux, il serait bon de se souvenir que moustaches a pour synonyme bacchantes (de bacché, déchaînée, furieuse), les favorites de Bacchus. Ces bacchantes possèdent la même signification que les Furies ou Trois Érinyes dont les prêtresses portaient des masques de Gorgones (étymologie : les farouches) dont le regard pétrifiait... transformait en Pierre. Est-assez clair ? Ces nez à bacchantes nous invitent donc à découvrir une chose née exclusivement d’un homme, d’un père, comme Athéna de Zeus! En grec, ΄Αθηνά (Athèné) est formé d’un a privatif et d’un mot signifiant nourrice, mère. Athéna est donc celle née sans mère.

 

Dans l’antiquité romaine, on appelait peplum ( en grec πέπλος ou πέπλα ) un voile orné de broderie dont on habillait la statue de Minerve (Athéna chez les grecs), fille de Jupiter. S’agissant d’un vêtement féminin, d’un voile de femme (χάλυμμα). Pour comprendre ce que masque ce péplum symbolique, il faut savoir que Κάλυμμα vient de χαλύπτω, couvrir, envelopper, cacher,, qui a formé χάλυξ ,bouton de rose, fleur, et aussi  Καλυψώ, nom de la nymphe Calypso, reine de l’île mythique d’Ogygie que les Hellènes nommaient ΄Ωγύγιος , terme voisin de ΄Ωγυγια, lequel a le sens d’antique et de grand. Cette fleur du Grand Oeuvre ou rose mystique, c’est la Pierre Philosophale.

 

Le symbolisme d’Athéna permet de comprendre les raisons qui incitèrent l’homme qui signa Fulcanelli à faire figurer un hippocampe sur son blason, reproduit à la fin du Mystère des Cathédrales. Dans ses armoiries, l’hippocampe s’élevant de la champagne (tiers inférieur de l’écu) figure le soufre, la partie mâle de l’Oeuvre qui génère la Pierre parce que, chez les chevaux-de mer, c’est le mâle qui porte les petits dans une poche et en accouche.

 

Le promeneur pourra ensuite s’arrêter dans les deux chapelles latérales, situées au fond de l’église, afin d’y admirer les sculptures en bois représentant des jeux d’enfants enguirlandés, dont les sexes sont masqués, le plus souvent. Ici, il ne s’agit pas de débattre du sexe des anges, mais bien d’une illustration des parts mâle et femelle, fixe et volatile, entrant dans l’Oeuvre. Les ailes des enfants jouant sur terre, sont là pour nous rappeler que les notions de mercure et de soufre sont ambivalentes selon qu’elles s’appliquent à l’une ou à l’autre des phases du processus. Levant la tête, le visiteur pourra admirer les superbes caissons du plafond, lesquels véhiculent tout le symbolisme classique de l’Alchimie : Soleil et Lune, cette dernière avec ses phases, l’étoile du matin sur laquelle un vaisseau règle sa route et indiquant la voie humide, la rose, emblème du Soufre évolué et donc de la Pierre, l’Athanor ou fourneau Philosophique, et non un four matériel... Quant au palmier, visible dans un jardin fermé il est là pour nous rappeler la proximité du phoinix égyptien, signifiant palmier et du Phénix, oiseau mourant et renaissant de ses cendres, au milieu du feu, et qui est l’emblème de la Pierre Philosophale...

 

Le détail le plus étonnant de cette visite, demeure malgré tout l’immense toile représentant la mort de Louis IX ,dit Saint Louis et signé Jacques Ninet de L’Estaing, dont il est inscrit qu’il mourut en 1662, à Troyes, sans que soit précisé sa date de naissance.  Une vérification dans les annuaires consacrés à la peinture révèle qu’il n’exista aucun peintre de ce nom, et que la toile en question est attribuée à trois peintres différents, à l’identité incertaine, variant de Lestain, à Lettin , en passant par un certain nombre de variantes. Quant à la date de décès, elle est située en 1661 ! Toute faute de gravure ou erreur dans un texte avait, pour les artistes d’autrefois valeur de signal. Ces fautes volontaires étaient destinées à attirer l’attention sur la nature ésotérique ou hermétique de l’oeuvre. Ici, l’artiste s’est surpassé, nous livrant le nom du métal élu, lequel fournit le Mercure tant convoité et caché dans tous les textes. Dans l’immédiat, contentons-nous de dire, qu’en graphie romane Louis et Iovis sont des équivalents et que Iovis est le nom de Jupiter-Zeus ! Sachant qu’à Zeus est attribuée la couleur bleue, celle justement du manteau des rois de France,  visible sur le tableau, nous sommes en possession d’une première information. Les fleurs de lys semées sur ce vêtement en précisent le sens, ainsi que nous l’avons vu. Les dieux grecs ou latins sont toujours associés aux métaux. À Zeus correspond... l’étain. On pourrait d’ailleurs se demander pourquoi un métal d’aussi peu de valeur et d’aspect aussi terne a été choisi -autant dire élu- afin d’être associé au plus grand des dieux... d’autant que la cause semble être entendue. En effet, les textes tendraient plutôt à évoquer le plomb, la stibine, la galène, voire l’antimoine, d’autant qu’ils font souvent référence au vieux Saturne. Basile Valentin lui-même n’a-il pas désigné ce minerai en lui consacrant un livre entier Le Triomphe du char d’Antimoine ? Alors ? Doit-on se montrer plus royaliste que le roi, que le spécialiste en la matière ? La vérité oblige à répondre que oui. Les vieux maîtres malicieux n’ont jamais hésité à faire prendre des vessies pour des lanternes et ce au sens que donnait à ce mot Messire Rabelais, lequel était passé maître en Lanternois,  à savoir des sornettes. L’antimoine dont nous parle les livres est qualifié d’Antimoine des philosophes et ce dernier n’a rien en commun avec la substance ordinaire. Il va nous falloir aller voir plus loin...

 

Quant au second patron de l’église, il n’est pas inutile de constater qu’il est représenté tenant une épée et, donc, porteur du fer. Quittons l’église afin de poursuivre notre promenade et suivons la rue de Rivoli. Chemin faisant, et histoire de passer le temps agréablement, sans en perdre, nous pourrons évoquer l’énigme historique de L’Homme au Masque de Fer.

 

L’énigme du Masque de fer                    

 

L’énigme historique du Masque de Fer est sans doute l’une des plus mystérieuses de l’Histoire de France. Qui fut le prisonnier anonyme que Louis XIV fit emprisonner dans la forteresse de Pignerol, puis transférer dans l’île de Sainte Marguerite, et qui finit ses jours à la Bastille ? Les prétendants ne manquent pas. L’hypothèse la plus plausible semble concerner Eustache Dauger de Cavoye, un frère bâtard de Louis XIV. Toujours est-il que « l’emmuré vivant », lorsqu’il décéda, fut enseveli dans le plus grand secret au cimetière Saint-Paul, à proximité de l’église dont nous avons vu les singularités. Mais comment se fait-il que la mémoire populaire et la légende-ce qui est du pareil au même- se soient emparées de cette histoire, voulant à tout prix qu’il se soit agi d’un frère jumeau du Roi-Soleil, et ce contre toute logique et vérité historiques ? Serait-ce parce que, alors que l’un, prénommé Louis ou Iovis, brillait en toute liberté, et était l’incarnation terrestre du Dei-Pater-Zeus-Jupiter, le second était mis à l’ombre, derrière des barreaux... de fer. Il faut croire que ce détail avait une réelle importance, puisque cette même tradition populaire-il est vrai sous l’influence de Voltaire- voulait que le visage du prisonnier soit dissimulé derrière un masque de fer, dont il est avéré qu’il ne s’agissait que d’un simple loup. Ultime jubilation du hasard, si fréquemment invoqué par les garants de la culture officielle et aseptisée, lorsqu’ils ne peuvent masquer leur ignorance, l’Homme au masque eut pour gardien, détail au demeurant exact - Monsieur de Saint-Mars. Le dieu Mars, Arès chez les Grecs, étant toujours associé au fer, doit-on une nouvelle fois invoquer une miraculeuse et providentielle coïncidence. En résumé, cette vision populaire d’un frère jumeau du Roi semble être une variante du mythe des Dioscures, les fils de Zeus : Castor et Pollux. Ces Dioscures, dont  l’église catholique tira Saint-Gervais et Saint-Protais.

 

Louis XIV se trouva associé à une anecdote, parfois rapportée comme historique, et qui pourrait bien relever, elle aussi du mythe hermétique. Le monarque, de passage en Provence, alla visiter la Charteuse de la Celle-Roubaud aux Arcs-sur-Argens où le corps de Sainte Roseline et, en particulier ses yeux, étaient demeurés intacts après trois siècles : « L’éclat surnaturel du regard de la sainte, trois siècles après sa mort, lui fit craindre une supercherie. Il fit intervenir son médecin Antoine Vallot : la piqûre faite sur l’un des yeux par le médecin armé d’une aiguille fit disparaître tous les doutes. Le résultat de cette constatation est encore manifeste aujourd’hui ; l’oeil percé par cette piqûre s’est flétri, l’autre à conservé son intégrité. » Il y a, sans que l’on s’en doute, derrière cette horrible histoire un monumental calembour qui, une fois encore, avait pour but de souligner le nom du métal masqué par tous les auteurs. [3] Ultime précision, la légende populaire voulut également que l’Homme au Masque de Fer ait été le véritable Roi de France et, par conséquent qu’il y ait eu substitution d’enfant à la naissance, et ce contre toute vraisemblance. Le peuple voulut aussi que le prisonnier se soit prénommé Dieudonné. Serait-ce parce que, justement, ledit prénom, peu répandu, évoque ce Don de Dieu indispensable et nécessaire à qui veut entreprendre le Grand Oeuvre ? Reste que, dans ce mystère historique, le corps emprisonné pourrait bien faire référence à celui du métal élu, dont nous allons continuer à suivre les traces, tout comme Rouletabille le fit, dans Le Mystère de la Chambre Jaune, pistant les pas tour à tour grossiers et élégants de l’assassin. Et puisque nous évoquons de nouveau ce roman, pourquoi ne pas en dire un peu plus et en relever quelques singularités très expressives.

 

Gaston Leroux y met en scène un vieillard (image parlante de celui symbolisant la matière alchimique), le Professeur Stangerson, travaillant sur « la dissociation de la matière ». Ce savant a une fille : Mathilde Stangerson laquelle doit épouser un certain Robert Darzac. Relevons que Leroux nous précise que la Demoiselle « est un grand caractère », ce qui invite à relever les lettres majuscules : M et S, initiales qui abondent dans l’oeuvre de Jules Verne (Michel Strogoff, Mathias Sandorf...) et propices à évoquer le Mercure et le Soufre. Mademoiselle Stangerson a été victime d’une tentative d’assassinat et Rouletabille est persuadé que Darzac connaît le nom de l’agresseur, mais ce dernier observe un mutisme de plomb. Comme Darzac est innocent, il semblerait que nous devions envisager une autre piste. Ceci est confirmé par le chapitre XII au sein duquel Rouletabille remet en cause les hypothèses du policier Frédéric Larsan. Après avoir évoqué une pierre ayant servi à lester des souliers compromettants, Rouletabille affirme ne pas croire à la culpabilité du Vieux serviteur (le Loyal Serviteur des textes hermétiques, le plomb des Philosophes), en raison du  « trop grand nombre de faux témoignages de son passage laissé par l’assassin » afin de faire accuser ce personnage. Leroux, parfaitement au courant de certains travaux alchimiques, ceux de Fulcanelli, par ce discours à double entendement,  suggérait que «  le plomb n’est pas le métal à envisager, même si nombre de textes semblent le désigner... » Dans ce cas, quel est-il ? Quel est le métal meurtrier du Mercure ( dont Mathilde Stangerson est l’emblème, la racine de son nom Stan étant révélateur du premier métal). Dans le roman, l’assassin étant Frédéric Larsan, l’anagramme nous livrant fer arsenical, nous connaissons à présent le nom du meurtrier... enfin presque. En effet, lors de l’épilogue, Rouletabille affirme que lui connaît les deux moitiés de l’assassin, la véritable identité de Larsan. Quelle est l’identité d’origine de Larsan- ou celle du métal fournissant le Premier Mercure ? C’est ce mystère que nous allons tenter de résoudre en poursuivant notre périple.

 

Poursuivant notre promenade, nous passons devant la Tour Saint-Jacques, située dans l’ancien quartier Saint-Jacques de la Boucherie (évoquant un autre savoureux personnage de Gaston Leroux : Chéri-Bibi, le forçat assassin, poursuivi par la fatalité, ex-garçon boucher, ayant une soeur, religieuse, prénommée Jacqueline, et dont l’existence semble placée sous le signe d’une infinie Souffrance. Son numéro de matricule le confirme, puisque 3216, ou 32-16, désigne le nombre et le poids atomique du Soufre en chimie, selon la table des éléments). Ce quartier fut celui qu’habita le célèbre alchimiste Nicolas Flamel (étymologiquement : le vainqueur de la Flamme). Deux rues se croisant, en forme de creuset, nous conservent le souvenir de l’homme et de son épouse : les rues Flamel et Perrenelle. Plus loin, dans les jardins du Forum des Halles, construit sur l’emplacement de l’ancien cimetière des Innocents, où fut enseveli ce couple, nous voyons se dresser, contre la Bourse du Commerce, placée sous la tutelle d’Hermès-Mercure, une étrange colonne. Sur cette colonne nous pouvons lire le célèbre monogramme, constitué de la lettre H, encadrée de deux D, dont l’un est inversé. Ce monogramme, les historiens voudraient qu’il constituât celui d’Henri II et de sa concubine Diane de Poitiers. Cela paraît peu judicieux. En effet, cette colonne est un vestige de l’observatoire que fit édifier Catherine de Médicis pour son astrologue, et empoisonneur patenté, Cosimo Ruggieri. Doit-on croire, dès lors que la Reine de France aurait poussé la complaisance jusqu’à faire sculpter l’initiale de son royal époux à côté  de celles de sa maîtresse ? Certes non ! La lettre, équivalente de l’êta, chez les grecs, par son graphisme a toujours été prise pour le symbole de l’Esprit, de ce dynamisme vibratoire, ou agent, permettant d’ouvrir les métaux morts, de les ramener à la vie en les rendant philosophiques. Quant au double D, il est fortement évocateur du Donum Dei ou Don de Dieu, la grâce, qualifiée de nécessaire et suffisante -comme le Mercure est dit nécessaire et suffisant pour commencer et parfaire l’Oeuvre Divin-

 

Nous arrivons à présent devant l’église Saint-Germain l’Auxerrois. De là fut sonnée le 24 aôut 1572, à minuit, la Saint-Barthélémy. Ceci est un fait historique. Mais n’est-il que cela ? Quelques secondes plus tard, nous étions le 25, jour de la Saint-Louis...Et cela adopte une intéressante résonance pour les étudiants de la Sainte-Science, tout comme ils ne peuvent qu’être frappés par ce massacre des Innocents protestants, venant en rappel d’un autre génocide plus ancien et n’ayant, celui-là, qu’une valeur symbolique. Dans le calme du porche, jadis multicolore et doré, repeint il y a plus d’un siècle, puis décapé, se découvre la figure d’un acteur bien connu du Grand Oeuvre : le Fou. Il brandit sa marotte sur laquelle se devine encore l’image d’une vieille femme, à la retombée des nervures de la voûte, contre le mur de la façade, au nord de la porte centrale. Dans le langage des Initiés, le Fou traduit indifféremment leur mercure ou l’alchimiste, en raison d’une part de la volatilité et de l’inconstance de ce mercure, d’autre part de la simultanéité entre ses transformations et celle de la psyché de l’opérateur au cours des épreuves qu’elle subit. Quant à la marotte, attribut habituel des fous de cour, Fulcanelli y voit l’équivalent du caducée de Mercure, plus transparent dans son ésotérisme que la verge aux serpents. Son nom est identique à mérotte : « petite mère » et souligne la nature féminine et la vertu génératrice du mercure hermétique, mère et nourrice du roi ou embryon de soufre.

 

Sur la façade, parmi nombre de motifs, peut se voir un singe, tournant le dos, et montrant de façon impudique ses fesses. Comme précisé antérieurement, le singe était parfois pris pour emblème de l’alchimiste lui-même, ce dernier singeant la nature. Quant au postérieur, mis en évidence, il nous rappelle que le peuple lui donne les noms de cul (anagramme de Luc) et de Lune, lequel se montre encore plus évocateur. Cette Lune, nous la retrouvons au sommet de la porte sud, en une étonnante figure, et dominant les sinuosités d’un pied de vigne.

Si l’architecture religieuse française est caractérisée, sur le plan de la structure, par l’emploi de la croisée d’ogives, il faut reconnaître que c’est la section de ce système de voûte par un plan vertical qui a donné lieu à l’arc brisé, second caractère formel de cette architecture. On sait que l’arc brisé se dessine au moyen de deux arcs de cercle de rayons égaux, élevés sur l’horizontale des centres et se joignant en un point supérieur appelé le tiers point, c’est-à-dire le troisième point. L’arc brisé est donc avant tout un arc en trois points. Il porte la signature des constructeurs médiévaux qui a perduré dans le compagnonnage et dans les loges contemporaines sous la forme des trois points de la franc-maçonnerie spéculative. L’arc brisé figure par conséquent une triade dont les deux premiers termes sont les centres des deux arcs de cercle, le centre de l’un faisant partie de la circonférence de l’autre. Le troisième terme est le point supérieur, à la rencontre des deux cercles, qui structuralement assure l’équilibre de l’ensemble. L’arc de gauche appartient au cercle de droite : celui du Soleil. L’arc de droite appartient au cercle de gauche : celui de la Lune. L’intersection des deux, le tiers point, correspond à la conjonction mensuelle des deux astres, souvent soulignée, et comme matérialisée, dans le ciel crépusculaire, par la courte apparition de Vénus, somptueux joyau du soir ou du matin associé, suivant un rythme régulier, soit à la lune décroissante au lever du jour, soit à la lune croissante à la tombée de la nuit. Comme Vénus-Lucifer et Vénus-Vesper dans le ciel du grand monde, le sceau étoilé se montre à l’opérateur parmi les premiers rayons au matin de ses travaux dans le petit monde de l’Oeuvre, puis à l’Adepte au soir de sa vie, dans la rougeur du soleil couchant. Il semble que durant la période flamboyante les constructeurs aient voulu souligner sa présence au tiers point des arcs brisés, en y plaçant des figures en rapport avec son symbolisme. Ainsi au sommet des arcs des travées nord et sud du porche ont été sculptés, sur l’un un phénix, sur l’autre une rose[4] qui, l’un comme l’autre, désigne l’enfant né de l’heureuse union du Soleil et de la Lune, la pierre philosophale accomplie.

 

Germain, prénom du Saint-Patron de cette église, vient de germe et de ana, qui veut dire en haut. En lutte contre l’Arianisme, en route pour Milan, Germain annonça qu’il « aurait à souffrir beaucoup »[5]. Ce « germe venant d’en haut et devant souffrir » met l’attention en éveil, et ce pour les motifs suivants.

 

Fulcanelli rappelle que le Mercure est un sel, ce qui contient un calembour et une anagramme. Ce sel est dit double et ana. Ceci s’explique par le fait que, parlant du Mercure en tant qu’essence, les vieux Maîtres jouaient sur SeL, abréviation de Soleil et Lune, les deux astres en assurant l’origine et la propagation. Fulcanelli, rappelait que  «  le Mercure est la colonne, la base et le fondement de l’Oeuvre ». Les sculpteurs, ayant oeuvré en l’église Saint-Germain l’Auxerrois, illustrèrent ce point à leur façon poétique et naïve. En nous déplaçant sur la gauche, nous ne pouvons manquer de voir, sur une colonne des anges, aux ailes refermées, puis se déployant. Comment mieux illustrer la volatilité du Mercure, de l’Esprit qu’il convient de fixer, d’autant, qu’en égyptien, colonne se dit Thot et que ce mot désigne le Dieu-Lune dont les grecs firent Hermès, puis les latins Mercure ?

 

Sur la colonne suivante, l’ange prend son envol. Sur la troisième colonne... surprise... plus la moindre trace de l’ange. Il a disparu. Nous le retrouvons, grandi, en pied, fixé, c’est-à-dire assis sur la colonne suivante. Sa position est remarquable. L’un de ses bras dessine la lettre L, inversée, l’autre bras schématise la lettre U ou V, quant aux jambes, elles sont croisées et indiquent la lettre X. Ce rébus se lit LUX : lumière, nous confirmant ce que nous savions déjà, à savoir que l’Alchimie repose sur le principe de la permutation des formes par la lumière. Il y aurait beaucoup à dire encore concernant certains des détails de cette église, mais le temps nous presse, et il nous faut gagner Saint-Merry...

 

Église Saint-Merry

 

Située dans le quartier qui fut, au moyen-âge celui des ribaudes, l’église Saint-Merry possédait, au XIXe et début du XXe siècles, une réputation satanique par suite de la présence de deux ornements singuliers. Dans les années 50 et 60, on pouvait encore voir nombre de péripatéticiennes exercer leurs activités, que la morale réprouvait mais tolérait avec une certaine dose d’hypocrisie, dans la rue Saint-Denis et ses abords. Avec la venue de la spéculation immobilière, ce commerce périclita et, de nos jours, comme le chantait la môme au nom de Pierrot, à savoir Édith  Piaf, « la fille de joie est triste là-bas au coin de la rue ». Toujours est-il que trouver des prostituées à proximité d’une église, où les Alchimistes parisiens se donnaient rendez-vous le Dimanche, ne manque pas de sel. En effet, les alchimistes, entre autres noms, appelaient prostituée de l’Oeuvre, leur matière qualifiée de vile. Dès 1361, le verbe prostituer avait le sens d’avilir. Quant au mot ribaude, s’il dérive de riber : « faire le débauché », il est riche d’enseignement. Ainsi ribaudequin, désignant un engin de guerre, provenait de ribaude signifiant un canon. Ribler, proche parent de riber, possédait le sens de « frotter » et s’appliquait à l’action d’ « aiguiser une meule, en polissant sa surface, en la frottant contre une autre ». La meule ou le rémouleur sidéral étaient toujours pris par les alchimistes pour l’image de la Lune. Plutôt drôle est l’assimilation faite par l’argot populaire entre meule, employé avec la marque du pluriel, fesses et Lune ! Le terme riblon, de la même famille que les précédents et dérivant de riban (frotter), désignait un déchet de ferraille utilisé dans la fabrication de la fonte de seconde fusion.

 

Cette incursion dans le domaine de l’étymologie va nous conduire à des rapprochements historiques et symboliques étonnants. L’origine de cette église fut une chapelle consacrée à saint Pierre, l’apôtre ayant renié son divin Maître avant que le coq n’ait chanté trois fois et qui entendit, avec stupeur, Jésus le traiter de « Satan ». Ladite chapelle, était située au nord de Lutèce, auprès de laquelle était venu se fixer et mourir Saint Merry après son pèlerinage à Saint-Denis ( de Dionysos). Saint Denys, qui n’est que la version chrétienne du Dionysos grec, fut décapité à l’aide d’une épée en fer. La notion de nord est à rapprocher du rôle historique de la basilique (du grec basilikê : royal), proche de basilic (du grec basiliskos : petit roi), le reptile fréquemment représenté sur les églises et cathédrales. Les alchimistes appellent leur embryon de Soufre « régulus » ou petit-roi. Les Rois de France étaient enterrés à Saint-Denis et de la même façon que le monde tourne autour du pôle pour se retrouver semblable à lui-même, le principe de la royauté se renouvelait symboliquement à Saint-Denis d’où le nouveau Roi faisait mine de revenir quand le précédent y avait été enseveli. Le trajet s’effectuait par cet axe nord-sud de la ville, devenu aujourd’hui la rue Saint-Denis. Bernard Roger, dans son admirable livre Paris et l’Alchimie[6] précise : «  Saint-Merry, dont le nom rappelle la sonorité du grec én mérei (de méros : partie, portion, part de temps, tour, alternance) et signifiant : » à son tour, tour à tour », semble bien personnifier ce principe dionysiaque de renouvellement autour d’un pôle dont il marque la direction en se fixant au nord de Lutèce, auprès de cette chapelle consacrée à l’apôtre Pierre... »

Alors que l’on s’attendrait à trouver le sigle S. M désignant Saint-Merry, nous y déchiffrons V. M., ce qui, en phonétique, revient au même puisque V (cinq) est un homonyme de saint. Un saint étant aussi un vénérable, ce sigle peut se lire Vénérable Maître. En haut de la porte sud, faisant le pendant à un lièvre (symbole de la Lune), peut se voir un petit ours, et non un chien comme le prétendent certains auteurs. Cette petite Ourse, date de la restauration de 1842 et prouve que les compagnons maçons avaient conservé la tradition du symbolisme polaire de Saint-Merry.

 

À cette même date, fut sculpté, au-dessus de la porte centrale, un petit sujet hermaphrodite, pourvu de cornes et d’ailes, qui ne contribua pas peu à donner à cette église sa réputation sulfureuse. Cette sculpture représente le baphomet, la figurine tant reprochée aux Templiers et qui n’est qu’un résumé de l’Alchimie. Son nom provient du grec et Fulcanelli nous en dit : «  Baphomet vient des racines grecques Βαφεύς , teinturier, et μής , mis pour μήν , la lune ; à moins qu’on ne veuille s’adresser à μήτηρ, génitif μητρός , mère ou matrice, ce qui revient au même sens lunaire, puisque la lune est véritablement la mère ou la matrice mercurielle qui reçoit la teinture ou semence du soufre, représentant le mâle, le teinturier,- Βαφεύς – dans la génération métallique. Βαφή a le sens d’immersion et de teinture. Et l’on peut dire, sans trop divulguer, que le soufre, père et teinturier de la pierre, féconde la lune mercurielle par immersion, ce qui nous ramène au baptême symbolique de Mété exprimé encore par le mot baphomet . Celui-ci apparaît donc bien comme l’hiéroglyphe complet de la science, figurée ailleurs dans la personnalité du dieu Pan (tout, universel) image mythique de la nature en pleine activité... »

 

Bernard Roger, dans son beau livre précité, précise : « Quant au petit hermaphrodite(...) il ne saurait mieux justifier sa présence qu’au travers des acteurs du drame alchimique, parmi lesquels il trouve une ressemblance frappante avec le Rebis, être bisexué né des amours d’un vieillard et d’une jeune vierge, fixe et volatil, personnage central, polaire, principe de l’Oeuvre voué à la destruction, et dont la mort doit donner naissance au phénix, jeune roi ou pierre philosophale triomphante. Au pied de l’archivolte, de part et d’autre de la porte, un dragon ailé et un dragon aptère rappellent la nature des deux protagonistes minéraux du début des travaux. »

 

Ce phénix est rappelé, à l’intérieur de l’église. L’étonnante chaire de 1753, possède un dais soutenu par deux palmiers, dont nous avons vu, antérieurement que le nom grec jouait avec celui de l’oiseau de feu. Les vitraux, sont l’oeuvre de quatre maîtres verriers : Héron, Jacques de Paroy, Chamu et Jean Nogare et furent posés vers 1560. Côté gauche de la nef, la première fenêtre est consacrée à la vie de Sainte-Marie Madeleine, d’après la Légende Dorée de Jacques de Voragine. Les médaillons évoquent la vie de la sainte dans le désert puis à la Sainte Baume et enfin, son transport, par les anges, au ciel. Ce n’est pas pour rien que la tradition populaire, au mépris de toute vraisemblance, fit de Marie-Madeleine une pécheresse, voire une femme de mauvaise vie. Madeleine, symbolise la Prostituée de l’Oeuvre, autrement dit le mercure évoluant vers le soufre après sa purification et ses souffrances dans le désert, puis placé dans l’athanor philosophique (la Sainte Baume), et sublimé par son union avec le soufre (ascension). Cette interprétation est d’ailleurs à rapprocher de l’épisode de l’Évangile selon Saint Jean, nous disant que Marie- Madeleine fut la première à rencontrer le Fils de Dieu, après sa résurrection, et qui ayant fini de souffrir, se transformait en Pierre Philosophale, nom que le peuple français lui attribuait et ce jusqu’au XIVe siècle, non sans raison. Or, l’évangile nous dit que Marie-Madeleine le prit pour le jardinier. Nombre d’alchimistes du passé se comparaient justement à des jardiniers ou adoptaient des pseudonymes en relation avec l’horticulture. À la deuxième fenêtre, on distingue une résurrection de Lazare dont le symbolisme alchimique est transparent, tout comme l’histoire de Sainte Agnès, dont le nom indique l’origine ignée (de la nature du feu) et qui fut conduite, selon la légende, en un lieu de prostitution, faisant l’objet du vitrail de la deuxième fenêtre, sur le côté droit de la nef. Mais il est grand temps de mentionner et d’analyser le vitrail, jugé par d’aucuns scandaleux et qui oublient que la pierre de scandale est également, la pierre d’angle, celle qui fut rejetée, toutes expressions que s’applique le Christ. Situé dans le transept nord, ce vitrail est composé de croissants lunaires enlacés et d’un coeur flamboyant, au centre, dont le symbolisme est solaire. En outre, ledit vitrail montre, dans sa partie supérieure un pentagramme inversé. Tous les ouvrages relatifs à l’occultisme associent le pentagramme inversé à l’image du bouc et, par conséquent à Satan. Il convient de préciser que les anciens considéraient l’occulte, cabalistiquement parlant comme le Culte du Soleil (O) et de la Lune C. Faisant face à ce vitrail, côté sud, une autre composition, figurant la crucifixion, retient l’attention. Le Messie y est représenté, entouré d’ailes rouges, entrecroisées, dessinant, également en rappel du vitrail nord, la forme d’un pentagramme inversé et ceci afin de souligner le passage de l’Apocalypse, déjà mentionné, où Jésus se déclare «  Étoile radiante du matin ». Cette étoile, celle du berger, est la Vénus Vesper-Lucifer. Ce détail suffirait à prouver que l’Apocalypse, manifeste guerrier est aussi un texte hermétique. Si tel n’était pas le cas, on ne voit pas pourquoi le fils de Dieu se comparerait à l’Adversaire. Là réside le noeud gordien de cette affaire et qu’il va falloir trancher.

 

Il s’agit d’un magistral calembour destiné à livrer  la seconde moitié de l’identité de l’assassin, ainsi que le fit dire Gaston Leroux à Rouletabille... le second métal, ou plutôt le premier puisque Larsan s’était forgé, au préalable, une solide réputation de criminel sous un autre nom. Si les initiales de Saint Merry évoquent, comme celles de Mathilde Stangerson, le Mercure et le Soufre, elles peuvent signifier, de même, Spiritus Mundi, l’Esprit du Monde, l’Esprit Saint, le Mercure Universel ou Sel vert Un. Toutefois, il serait bon de se souvenir que Merry, en ancien français signifiait Joyeux, ce qui nous ramène aux ribaudes, aux filles de Joie et à Jupiter (Jovis). Cette étymologie va nous être confirmée par le calembour du vitrail. Satan n’a jamais eu d’existence que dans l’imagination des prêtres de l’Église qui voulurent diaboliser les anciens dieux païens. Pareillement, ils attribuèrent le chiffre 4, symbolisant le matériel, à Satan.  Quant aux alchimistes, ils en firent leur Antimoine, celui des Philosophes, le grand Adversaire des Moines, parce que Satan est l’anagramme de Stana et que stanum désigne l’Étain, métal de Zeus-Jupiter et d’Hermès-Mercure, divinités auxquelles furent attribués le coq et le 4 de chiffre[7].

La notation de l’étain en Alchimie et de Jupiter en Astrologie affecte la forme de ce chiffre. Ceci est vérifiable avec le quatrième arcane majeur du jeu de Tarot, où l’Empereur, de par sa position, schématise ce chiffre. Comprend-t-on mieux pourquoi le coq en étain, faisant office de girouette, réside au sommet de nos églises ? Or le pentagramme incriminé est bien situé au nord, localisation géographique qui jamais ne voit la lumière. Par conséquent, de ce côté...Tout est éteint !

 

L’abréviation du mot saint (St), elle-même, était destinée à suggérer le nom du métal élu, sacré et saint. Avant que le symbole de l ‘étain ne devienne Sn, sa notation chimique était St. Il n’est pas jusqu’à la présence d’orgues, dont les tuyaux sont constitués de ce métal,  qui ne soit destinée à évoquer l’Art de Musique, autre nom de l’Alchimie. Enfin, nous auront été complets en soulignant que Marcel Schwob, en une étude consacrée à l’Argot français, et mentionnant le Jargon des Coquillars, précise que, du temps de François Villon, le jeu de la Marelle était désigné sous le nom de saint-marry ou saint-joyeux.


[1] : Du point de vue de l’étymologie, ce titre se lit : «  Le Fantôme de l’Oeuvre », lequel correspond à ce que les alchimistes nomment « leur Mercure » ou Mercure des Philosophes, l’artisan du Grand Oeuvre, lequel comme Protée, chez les grecs, apparaît, disparaît, change de nom et de forme... tout comme un célèbre gentleman-cambrioleur répondant au nom d’ Arsène Lupin. Nous y reviendrons un peu plus avant...

1 : H comme son équivalent êta en grec ou Hé en hébreu, est le symbole de l’Esprit ou de l’énergie vitale.

2 :Rabelais se disait  « Abstracteur de Quinte-essence ». Cette Quinte ou 5e essence est le 5e élément, l’Esprit ou Mercure Universel des Alchimistes. Rabelais est l’auteur de Cinq Livres, chacun étant consacré à un élément. Les auteurs des scénarios des films de Besson ont fait de même.

3: Sur ce sujet, lire « La Langue des Oiseaux » de Richard Khaitzine (éditions Dervy) – 

 

[2] : Ce terme, outre qu’il dérive du grec blaisos( qui ne s’exprime pas nettement), est à rapprocher de l’ancien français bléser et blaisement (zézayer, bégayer). Les armoiries sont dites chantantes ou parlantes quand elles livrent en rébus ou par une charade le nom de leur propriétaire. Blason a livré l’argot blaze (le nom) et son dérivé blazer, vocable exporté Outre-Manche qui nous est ensuite revenu par la langue anglaise. Il est surprenant de noter que la tradition catholique fit de St Blaise le saint-patron guérisseur des maux de gorge !

[3] : Pour plus de détails concernant cette légende, celle du Masque de fer, de la Joconde, des Bergers d’Arcadie et du tableau de l’église St-Louis-St-Paul, lire Les Faiseurs d’or de Rennes-le-Château , de Richard Khaitzine –éditions MCOR

[4] : hélas, ces motifs, encore visibles il y a de cela quelques années, sont, depuis, tombés en poussière.

[5] : cf : Bréviaire Romain et La Légende Dorée de Jacques de Voragine

[6] : éditions Umbra Solis

[7] : Ce chiffre fut adopté, pour des raisons identiques par diverses corporations ouvrières : constructeurs et typographes notamment .