REVISTA TRIPLOV
de Artes, Religiões e Ciências


Nova Série | 2010 | Número 06

 

Pourquoi commencer par des généralités ? Parce que plus de quarante ans passés à fréquenter le microcosme et à étudier les textes m’ont amené à me forger quelques certitudes… et autant d’incertitudes. L’une de ces certitudes, et non des moindres, c’est qu’il n’existe pas de secret initiatique et que ceux qui prétendent le contraire, le plus souvent, masquent leur ignorance derrière cette formule. Parfois, il arrive que l’invocation dudit secret réponde à des préoccupations uniquement mercantiles. Ces thuriféraires font beaucoup de fumée mais leurs écrits sont fréquemment dépourvus de tout parfum d’authenticité. Mais il ne m’appartient pas de juger de la vacuité ni du caractère erroné de leurs propos. Je me sens seulement le devoir de rectifier ce qui m’apparaît faux, voire mensonger, dans le pire des cas. Le secret, si l’on souhaite user de ce terme, réside moins dans le fond que dans la forme. À titre d’exemple, n’importe quel lecteur peut lire les œuvres de Shakespeare, de Cyrano de Bergerac, etc. ou d’auteurs plus populaires comme Jules Verne, Maurice Leblanc ou Gaston Leroux, sans pouvoir accéder à leur réelle signification. Pourquoi ? Parce que tous ces écrivains étaient experts en cryptographie, en codage et que, sous le sens littéral de leurs textes, s’en cache un autre, lequel constitue l’esprit du texte.

 

 
DIREÇÃO  
Maria Estela Guedes  
Série Anterior  
Índice de Autores  
Nova Série | Página Principal  
SÍTIOS ALIADOS  
TriploII - Blog do TriploV  
TriploV  
Agulha Hispânica  
Arditura  
Bule, O  
Contrário do Tempo, O  
Domador de Sonhos  
Jornal de Poesia  
   

RICHARD KHAITZINE

 

De l’ésotérisme, en général,

et de l’alchimie en particulier

        Richard Khaitzine

 
 
 
 
 
 
 

Ce que je viens d’exposer en matière de littérature généraliste s’applique encore bien davantage aux traités hermétiques ou alchimiques, ou aux textes sacrés, ce qui est du pareil au même. En effet, ces derniers, une fois dépouillés des préceptes moraux qu’ils renferment, ne sont que des véhicules de la pensée hermétique ; ils en exposent la théorie comme « la pratique ». J’utilise ce terme avec toute la prudence requise et aurais l’occasion  de revenir sur le sens qu’il convient de lui donner. La démarche des auteurs anciens – comme celle d’écrivains plus modernes – appartenant à ce courant, peut vous sembler ambiguë. Ce sentiment est généré par le fait que leur démarche consistait à dévoiler puis à re-voiler. En cela, ils usaient de ce fameux « principe de précaution » tellement à la mode mais qui, de nos jours, est motivé uniquement par le souci  d’ouvrir le parapluie et de fuir ses responsabilités. Ce que je viens de m’efforcer de vous expliquer le plus clairement possible vous permettra de comprendre pourquoi les évangiles paraissent se contredire sur ce point précis. On peut y lire que «  les perles ne doivent pas être jetées aux pourceaux » et, ce qui est antinomique, que « la lumière n’est pas faite pour être placée sous le boisseau ».   Ceci étant précisé, je me dois de me situer ne serait-ce qu’afin que vous sachiez si vous pouvez accorder un minimum de crédit à ce que vous lirez. 

Je n’appartiens à aucun courant de pensée, à aucune école, aucune société, aucun cercle et, par conséquent, ne suis lié par aucun devoir de réserve. Je suis entièrement libre de mes propos. Si tel n’était pas le cas, il me serait impossible de porter à votre connaissance ne serait-ce qu’un dixième de ce que j’entends vous confier, et de faire voler en éclats les idées reçues ou toutes faites.

Pour que les choses soient parfaitement établies, je suis autodidacte – ce qui est totalement impardonnable au sein d’une société soumise à la dictature des sacro-saints diplômes lesquels sont censés « sanctionner » des études universitaires. Cette formule m’a toujours réjoui en raison de l’acception punitive de ce verbe. Mon parcours a été un peu plus chaotique, mais ô combien plus enthousiasmant et enrichissant.  

Né en 1947, à Paris, j’ai passé mon enfance et mon adolescence à proximité des jardins du Palais-Royal, demeurant dans une mansarde, dont l’unique lucarne donnait sur un ciel dont l’aspect marquait les saisons et, en contrebas, sur la place des Victoires. Dans ce quartier, alors populaire, j’eus tout loisir de côtoyer la misère la plus noire – celle notamment de ce fameux hiver 54 qui déjà vit mourir dans les rues balayées par un vent glacial des « sans domicile fixe » ce qui motiva le coup de gueule de l’abbé Pierre. Plus de cinquante ans plus tard, l’aristo au grand cœur s’en est allé pour ce Paradis auquel il croyait sans doute et au sujet duquel je suis très dubitatif, bien qu’ayant été élevé dans la religion catholique… et il y a toujours des sans-abri. Les études ? Je les suivis sans enthousiasme ou, plus exactement, je les poursuivis… sans parvenir à les rattraper ! Heureusement, il y avait les jeudis et les dimanches passés dans des salles de cinéma de quartiers – elles aussi disparues et remplacées par des complexes qui en sont dépourvus même s’ils sont privés d’âme – où nous nous réfugiions afin d’y chercher un peu de rêve et trouver une chaleur absente de notre logement. Et, surtout, il y eut la lecture. Un luxe pour certains ; mais j’avais la chance d’avoir un père cycliste de presse et, par conséquent, je n’ai jamais manqué de livres. Comme quoi la providence – ou quelque chose qui y ressemble – semble savoir ce qui nous est nécessaire. Ce qui fut, également providentiel, c’est ce père qui, s’il ne maîtrisa jamais l’orthographe et la grammaire, avait tout lu. Il avait pris goût à la lecture durant les cinq années de captivité passées dans un stalag. Un quiproquo avait été à l’origine de cette passion. S’ennuyant, il avait écrit à l’un de ses amis, le journaliste Hervé Mille. Le courrier, parvint à un homonyme, l’écrivain Pierre Mille, un proche de Pierre Benoît et de Pierre Mac Orlan. Pierre Mille proposa généreusement de parrainer mon père et de lui envoyer régulièrement des colis. Les trois « Pierre » furent mêlés de très près au courant ésotérique et hermétique du XXe siècle. Ils fréquentèrent le cercle des Veilleurs, dont le siège était établi sur l’emplacement de l’actuel Musée de Balzac. Parmi les nombreuses personnalités qui en furent membres on peut relever le franc-maçon Jules Boucher, l’égyptologue Schwaller de Lubicz et Jean-Julien Champagne, le dessinateur des deux ouvrages consacrés à l’alchimie qui furent signés Fulcanelli. Ceci je devais l’apprendre bien des années après la disparition de mon père qui ne s’intéressa jamais, ni de près ni de loin, à l’ésotérisme. En revanche, de lui j’appris bien d’autres choses : que la justice n’est pas uniquement aveugle mais aussi sourde, que les systèmes et les idéologies peuvent être généreux mais que leur application laisse souvent à désirer, que l’Homme est capable du pire comme du meilleur et qu’il convient de ne rien accepter comme l’expression de la vérité sans avoir usé de son propre jugement et de sa raison. Enfin, je lui dois d’avoir vu s’exercer la bonté, la charité et la compassion à l’égard de ses semblables, ces vertus que, trop souvent, les esprits se piquant de religion oublient de vivre au quotidien… 

Ma toute première jeunesse se déroula sur fond des années rock’n roll. Puis il y eut le chambardement de 1968… une tempête dans un verre d’eau, où tout ne fut pas négatif, ni positif d’ailleurs. Pour quelques-uns ce fut un formidable creuset, un bouillonnement d’idées et l’on vit la curiosité s’exacerber. Entre deux manifs, on découvrait l’œuvre d’Herbert Marcuse – aujourd’hui bien oublié – et les philosophies nées en Orient, mais aussi les étranges pouvoirs de l’esprit. On se passionnait pour la parapsychologie qui était étudiée aux U.S.A. par le très officiel Professeur Rhine. En France, pays qui se pique de cartésianisme, sans même savoir que ce mot n’est pas synonyme de rationalisme desséchant, le sujet était tabou et uniquement étudié par des marginaux. J’en étais un…cela tombait bien !

À l’époque, j’étais déjà entré dans « la vie active » ce qui signifie, dans l’esprit des gens « sérieux » et le plus souvent sans imagination, que je travaillais afin de gagner ma vie… ce qui équivaut souvent à la perdre. Il est vrai que le chômage n’était pas encore devenu endémique et que l’Europe entrait dans ce que l’on devait appeler « les trente glorieuses ». C’était le boom économique. Je m’étiolais dans une banque et m’y ennuyais ferme. Cela devait durer vingt cinq ans. Ayant fait le tour de la littérature internationale, je décidais de prospecter l’enfer des bibliothèques, non pas celui de la pornographie et de l’érotisme, mais celui de l’ésotérisme. En dépit de la proximité phonétique de ces deux mots, il n’existe aucun rapport entre ces deux domaines si ce n’est que ces deux types de littérature circulent sous le manteau. Mon parcours au sein de l’abondante et sombre forêt de l’occultisme fut quelque peu désenchanté. J’en arrivais à la conclusion, décevante, que 99,99% des auteurs, qui m’étaient passés entre les mains ne savaient rien ou pas grand-chose, qu’ils se vantaient d’un savoir et de pouvoirs dont ils ne détenaient pas les clés. J’étais bien près d’abandonner quand je tombais sur les livres qui devaient me fournir le passe-partout indispensable pour qui veut ouvrir les serrures les plus hermétiquement closes. J’entrouvris la porte et ce que je vis derrière ne ressemblait à rien de ce que j’avais lu. Je me trouvais en présence d’un univers totalement différent, un monde fascinant mais scellé aux individus pontifiants, incapables de remettre en question leurs acquis, leurs certitudes et bien trop orgueilleux pour reprendre leurs études en constatant comme Socrate qu’ils ne savent rien. Je retournai m’asseoir humblement sur les bancs d’une autre école afin d’y apprendre les rudiments d’une autre science, selon la belle formule du dernier des grands alchimistes français : Fulcanelli. Je commençai par me défaire des idées reçues, de ces « douloureuses courbatures contractées aux barres fixes de l’enseignement officiel » comme l’écrivit Irène Hillel Erlanger, une dame dont nous aurons à reparler. Et, comme c’est toujours le cas, je commençai par apprendre l’alphabet de ce nouveau langage, allant d’émerveillements en émerveillements. J’y ai consacré plus de quarante ans et cela continue.

Dans le monde extérieur, c’était le flowers power et les hippies faméliques, aux vêtements bigarrés, prônant la paix et l’amour libre, l’amour pas la guerre, sur fond de fin de conflit au Vietnam où s’enlisaient les GI’s américains, un conflit qui allait s’achever sur un désastre pour la toute puissante Amérique. Les hippies rêvaient d’un autre monde, d’un retour à la nature. Un paradis en somme. Le paradoxe fut que le mouvement se liquéfia avant de disparaître. Fut-ce parce que, en ouvrant les portes de la perception, comme le disait Huxley, ils furent incapables de dépasser celles ouvrant sur des paradis artificiels ? L’absolu ne se trouve pas au fond des éprouvettes des laboratoires chimiques qu’ils soient officiels ou clandestins !

Dans la communauté hippie circulaient d’étranges histoires dont la naïveté ne devait être dépassée que par les cercles New Âge une décennie plus tard. On évoquait le voyage de Notovitch et un hypothétique séjour de « Jésus » au Tibet qui serait allé mourir au Cachemire. De quoi alimenter les rêveries d’esprits et de cœurs à la recherche de merveilleux. Malheureusement, ces contes ne résistaient pas à un examen sérieux. Ce furent ces fables qui m’amenèrent à m replonger dans l’histoire de la chrétienté. Les travaux de deux érudits de la fin du XIXe siècle et du début du XXe confirmèrent mes intuitions. Les religions ne rapportaient pas des faits historiques, elles étaient des allégories, des véhicules de connaissances anciennes, en particulier celles ayant trait à l’alchimie. Cette hypothèse se trouva confirmée quand j’acquis la conviction que les textes formant Le Nouveau Testament ne furent rédigés qu’entre les IIe et IVe siècles et qu’ils furent fixés véritablement vers le VIe. En revanche, il était indubitable que les écrits « chrétiens » étaient directement issus des traités hermétiques de la Gnose d’Alexandrie qu’ils s’en nourrirent. De même, la Gnose s’intégra ce nouveau véhicule et en utilisa le symbolisme afin de propager ses enseignements.

À l’âge de quarante ans, et ce chiffre n’est pas anodin, mon existence prit un nouveau tournant. Cela se fit grâce à un événement qui, pour la plupart des gens, constitue un événement dramatique. Je perdis mon travail. Il convient de préciser que ce licenciement intervint après une intense expérience de lâcher prise. Six mois plus tard, je publiais mon premier livre. Et cela dure depuis vingt ans.   

Pourquoi vous avoir raconté ce qui précède ? Parce que lors de mes premières incursions dans le domaine mystérieux mais passionnant de l’alchimie ce furent les deux ouvrages signés Fulcanelli qui déclenchèrent mon intérêt. Toutefois, à l’issue de ma première lecture je n’y compris pas grand-chose. Néanmoins, je sentis confusément que ces ouvrages contenaient des confidences importantes et une vérité que je n’avais pas trouvée auparavant. Mais pouvais-je faire confiance à leur auteur ? Et comme le nom utilisé en guise de signature était un pseudonyme, enquêter sur sa personnalité n’était pas aisé. Cela me prit des années d’investigations durant lesquelles je relus et relus encore ces deux ouvrages, en pénétrant chaque fois davantage le sens. Dans le même temps, je glanais tous les renseignements concernant ce milieu de l’hermétisme, recueillais toutes les confidences des témoins directs ou indirects, essayant de faire la part de ce qui était vrai et de ce qui n’était qu’affabulations. Ce jeu de pistes me fit découvrir des terrains inexplorés, y compris au sein de la littérature populaire, de celle qui ne l’était pas, et dans la peinture. Ma conviction en fut renforcée et je sus que je pouvais faire confiance à l’auteur des ouvrages en question. Le seul et unique moyen de savoir si sa confiance est bien placée est de savoir à qui l’on a affaire. Telle est la raison pour laquelle je ne vous ai rien scellé de mon parcours. Libre à vous, à présent, de croire, ou non, ce que vous lirez dans les mois à venir…

 

 

RICHARD KHAITZINE (FRANCE)
Écrivain, romancier, historien, critique d’art et scénariste français, né le 20 septembre 1947 à Paris et demeurant à Paris.
Il est issu d’une famille de juifs russes émigrés d’Odessa en 1914.
Au cours de sa carrière d’écrivain, il a publié une trentaine d’essais, dont plusieurs sont devenus des livres de référence, sur des sujets aussi divers que la littérature, la peinture, la Franc-maçonnerie, le symbolisme, les religions et l’hermétisme. Tous ces travaux font une large part à l’histoire de l’alchimie, aux arts et traditions populaires qui en sont les véhicules. Il est l’auteur, également, de deux romans.
Il a participé au colloque de Lisbonne en 1999 et à celui de Quinta da Regaleira en 2009. Richard Khaitzine se définit comme «un agitateur d’idées, un penseur libre, un résistant qui refuse le terrorisme intellectuel et la pensée stérilisée imposés par ceux qui séquestrent la culture dans des nécropoles dont ils se sont autoproclamés les gardiens. » Il est membre de la Société des gens de lettres depuis 1998.
Quelques titres publiés :
* La langue des Oiseaux (tome 1) Le second tome consacré à Georges Perec et à Raymond Roussel est en cours de publication. * De la Parole voilée à la Parole perdue
* Marie Madeleine et Jésus. * Quand la Terre gronde. * La Joconde, histoire, secrets et énigme. * Le Comte de Saint-Germain, hypothèse et affabulations.
* Peter Pan… pour une lecture intelligente des contes.
Sa biographie complète est visible sur Wikipédia
E-mail:
r.khaitzine1@aliceadsl.fr

 

 

© Maria Estela Guedes
estela@triplov.com
Rua Direita, 131
5100-344 Britiande
PORTUGAL