LE NÉO-CARBONARISME

A.R. Koenigstein

5 - Rituel
Il faut donc impérativement s'attacher au Rituel, et le sauvegarder. Il n'est pas ce qui décore une société efficace, il en est le fondement et la racine. Le Rite pour une société initiatique à caractère politique a en outre trois fonctions: D'abord il est une sécurité contre les mouchards, une série d'épreuves qui fait qu'il devient difficile pour un infiltré de rester incognito lorsque les épreuves de remémoration des signes, mots et attouchements sont exigés à tous les membres présents de l'assemblée. Sans doute d'ailleurs l'antique cérémonie du tuilage n'avait-elle pas d'autre fonction que de repérer et d'évacuer les étrangers aux secrets du métier, autrement dit, d'éviter l'espionnage politique ou industriel, comme on dirait aujourd'hui.

Ensuite, il fait vivre une expérience commune à tous les participants du Rituel qui leur fait éprouver in concreto le sentiment d'appartenir à une même famille, avec ses codes, ses habitudes comportementales, ses travers de langages, ses signes de reconnaissance, sa mythologie commune. A ce titre, le Rituel est peut-être le seul moyen d'opérer concrètement l'expérience de la solidarité et de la Fraternité. Ainsi les participants de la cérémonie établissent-ils entre eux des liens forts qui les rendent plus efficaces lorsqu'il s'agit de mener des actions de concert pour leur cause, ou contre l'adversaire commun. Cette fonction du rituel, comme la première, est strictement sociologique, pourrait-on dire ; elle permet de fonder une société d'hommes et de femmes liés par le serment du secret et qui, en raison même du secret sur le Rituel, est une société qui résiste plus encore aux épreuves et à l'usure du temps. En des termes d'efficacité politique, on comprendra donc pourquoi il faut que les sociétés politiques soient initiatiques. D'ailleurs les associations politiques qui durent sont toutes initiatiques en ce sens, sans qu'elles le sachent elles-mêmes, retrouvant parfois malgré elles, la ritualisation dans les rencontres, les alliances et les pactes.

D'autre part, le Rituel actualise des formes culturelles du patrimoine historique et mythique de la personne qui prend part au Rituel. Cérémonie de théâtre archaïque, elle donne la possibilité aux participants de vivre, en leur âme, en leur conscience et en leur chair des postures, des figures et des schèmes qui sont au fondement même de la conscience occidentale. Or, la Charbonnerie réveille les Figures mythiques que l'on pourrait appeler celles du peuple du Prophète de la Forêt. Les images du maquisard moderne, de Merlin l'immémorial, de Mandrin et du boisilleur médiéval, à la marge de la loi des hommes, dans un état de nature qu'envierait Rousseau, toutes ces Figures entremêlées actualisent un type psychique particulier. Par le Rituel qui les révèle régulièrement à une conscience occidentale qui les avait oubliées, - au nom de l'urbanisme et de la centralisation bureaucratique -, de telles Figures laissent leur empreinte dans la composition psychologique de celui qui les met en scène dans la cérémonie. Et plus le Rituel est vécu de manière intense, religieuse au sens primitif du mot, plus l'empreinte est forte. Alors, revenu au monde profane, le Charbonnier est apte à réveiller en lui les vertus de la Figure qu'il était dans le monde sacré. Ainsi, le lieu de la cérémonie initiatique devient aussi une sorte de matrice en laquelle croissent des qualités psychologiques que le Charbonnier peut réinvestir hors de la Vente, dans sa vie profane. A ce titre, l'initiation, en plus des qualités sociologiques qu'on lui a reconnu ci-dessus, a aussi des vertu psychologiques pour mener à bien une tache profane.

Enfin, si l'on en croit la lecture vraiment initiatique de l'initiation, ce n'est pas tant sur le plan socio-psychologique qu'agit l'initiation. Car sa fonction première est d'abord d'ouvrir vers l'autre monde, le monde sacré où dorment les dieux réveillés par le Rituel. Si l'on en croit donc la lecture archaïque de l'initiatique, le Rituel de Charbonnerie n'aurait pas d'autre fonction que de rétablir un contact entre les hommes et les esprits ancestraux du clan et de la nature, et de promouvoir alors un nouvel humanisme, polythéiste et animiste. Le projet carbonariste serait certes politique, mais alors le Rituel ne serait plus le moyen d'accomplir le projet politique, il en serait la fin, en réenchantant le monde, et en faisant tomber alors la façade déshumanisée du monde postindustriel.

Un Rituel a été "rédigé", pour servir les premières Ventes de néo-carbonarisme. Contrairement à la majorité des Rituels rédigés traditionnellement, celui-ci n'est pas publié sous la forme d'un dialogue que les initiés doivent apprendre par cour ou annoner sur des livrets pendant la cérémonie. Au contraire, la structure de ce Rituel que l'on pourrait qualifier de Rite Primitif Néo-carbonariste, est très lâche et très floue. Ainsi chaque Vente peut-elle le vivre vraiment, c'est-à-dire l'expérimenter naturellement, spontanément. Il n'y a pas ici une rituélie figée, pétrifiée. Au contraire, celle-ci demeure souple, ouvre le champ libre à l'improvisation, à l'imagination, afin que l'ambiance "forestière", complice, conspirationniste soit vécue intensément, et que la part belle soit laissée à l'imprévu.

Il est fort vraisemblable que d'autres rituels de néo-carbonarisme verront le jour à l'issue de la publication de celui-ci. C'est même très souhaitable. Ainsi se constitueront des ambiances, des sensibilités, des nuances très diverses dans le néo-carbonarisme. La chose est même inévitable, mais il ne faut pas entendre les futures productions de rituels comme des trahisons d'hérétiques. Mieux encore, le Rite Primitif Néo-carbonariste dont on donne aujourd'hui la publication est destiné à être modifié, modelé selon les aspirations et les nécessités de ceux qui font vivre le Rituel. De toute façon, il n'y a pas d'autorité inquisitoriale en néo-carbonarisme qui déciderait (au nom de quoi?) de la régularité d'un Rituel. En effet, le propre du Rite sacré, c'est que, contre la liturgie religieuse, il est pénétré de vie et résiste encore aux fossilisations des gardiens de la loi. Un véritable Rite qui sacralise est d'abord une Fête par laquelle le Ciel descend (monte ?) féconder la Terre. C'est la raison pour laquelle le Rite proposé laisse la place libre pour les déplacements improvisés, ou les interventions orales au milieu de la cérémonie, et le vin, la joie ou la gravité y doivent avoir leur place. Le Rite Primitif doit être entendu comme une ossature appauvrie, une charpente minimaliste qui peut suffir, mais qui accepte néanmoins d'être enrichie d'éléments nouveaux.

Pour autant, en aucune manière un nouveau Rituel de néo-carbonarisme ne peut amputer d'un de ses éléments le Rite Primitif proposé. En effet, amoindri jusqu'à devenir une peau de chagrin, le rite néo-carbonariste entraînerait progressivement les carbonari vers la pente de la Voie Substituée, c'est-à-dire d'une action politique dénuée de toute orientation spirituelle. Or le vrai défi de la vie politique moderne est d'éviter la barbarie et d'entretenir l'humanisme. Mais il ne peut y avoir d'humanisme sans spiritualité. Et le Rite spiritualise l'homme.

On peut considérer qu'il y a cinq stratifications à l'ouvre dans la Charbonnerie : la charbonnerie primitive, païenne et paria ; la charbonnerie catholicisée, à partir du XIIème siècle ; la charbonnerie maçonnisée du XVIIIème siècle ; le carbonarisme politique au XIXème siècle ; la charbonnerie spéculative de métier depuis 1996. A chacune de ces étapes de l'histoire de la Charbonnerie, des hommes ont cherché à y laisser leurs empreintes, afin d'en faire l'objet au service de leur cause, afin aussi de l'adapter à son temps afin qu'elle y survive et s'y déploie. Chaque étape du processus historique a laissé son empreinte dans les rituels. Pour notre part, et avec ce que nous espérons être de l'humilité et de la clairvoyance, nous avons compulsé, dans la mesure du possible, ces divers rituels, qui parfois n'ont rien de commun les uns avec les autres, afin d'en tirer une nouvelle épreuve, pour le néo-carbonarisme. Notre projet n'était pas, en produisant de "nouveaux" rituels, de faire comme d'autres, des outils à notre service. Nous ne nous considérons pas non plus comme les détenteurs d'un Régime qui soit le seul authentique ou le plus prêt de la vérité de la Charbonnerie ; mais, en bâtissant nos nouveaux rituels nous avons cherché à faire tenir ensemble la double exigence d'une ouvre qui soit à la fois en congruence avec son temps "moderne", mais aussi fidèle aux fondamentaux du carbonarisme "primitif". Avons-nous réussi? Nous ne le savons pas.

C'est la raison pour laquelle, par exemple, nous n'avons pas retenu la surcharge catholique omniprésente jusque dans les années 1820. Il fallait, à cet époque, professer uniquement la foi en Jésus-Christ pour pouvoir embrasser la carrière de Bon Cousin Charbonnier. Il nous a semblé que le creuset catholique ne parle plus aujourd'hui à la société française; et même qu'il est connoté symboliquement de valeurs réactionnaires et autoritaires, donc archaïques dans la société moderne. C'est pourquoi il nous a fallu purger la Charbonnerie de ses scories papistes, pour opérer un transfert vers son paganisme initial, qui, de plus, se retrouve comme la sensibilité dominante de l'époque moderne - éprise d'un "primitivisme" très rousseauiste. De la même manière, nous n'avons pas retenu les éléments du rituels, et les principes administratifs qui faisaient de la Vente le reflet parfait de la Loge maçonnique. Les Officiers y étaient représentés de la même manière, avec les mêmes compétences et les mêmes fonctions. Il a fallu, là encore, "démaçonniser" la Charbonnerie. Ce n'est pas que la Maçonnerie soit aujourd'hui caduque ou obsolète, mais il convient d'opérer une claire dissociation entre une société qui travaille à la Fraternisation, dans le respect des autorités constituées, et une société qui travaille à l'Emancipation, sans le souci de la reconnaissance institutionnelle. La séparation des objectifs doit aussi s'affirmer dans le pilotage interne.

Enfin, contre le carbonarisme activiste, nous n'avons pas axé la revendication politique sur l'insurrection armée et le recours à une violence dite légitime pratiquée par des minorités agissantes. Cette fascination pour la violence écoure après que ce siècle soit passé par les camps, qui tuèrent les hommes au nom de leur bonheur. En outre, le poignard planté dans le dos d'un officier de police est moins meurtrier que l'indifférence que l'on a pour son uniforme. Pour le redire encore, contre le carbonarisme qui voulait en finir avec les maîtres, le néo-carbonarisme veut en finir avec les esclaves, notamment en rendant les hommes indifférents à la fascination par le pouvoir. C'est le troisième renversement de perspective dans la réécriture rituélique à laquelle nous nous sommes livrés.

Déchristianisation au bénéfice d'un réenchantement animiste ; retrait loin de l'aura respectable de la Maçonnerie au profit d'une invisibilité institutionnelle ; refus du terrorisme romantique pour lui préférer la sérénité de l'homme sans maître. Pan s'assoit sur le Golgotha, Anderson prend le maquis, tandis que Buonarotti apprend à rire... Les initiés jugeront.

>>>>>>>>>>>>>>>>>> ROTIR DIEU
LE NÉO-CARBONARISME
A.'.V.'.C.'.B.'.:: http://www.carbonaria.org/vendas/vendas60.htm
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