Page principale- J.C.Cabanel - Alchimies - Zoo

J.C.CABANEL

Compagnonnage et F . . . M . . .

Compagnonnage et F . . . M . . . ont des histoires distinctes même si, à plusieurs reprises, l'Histoire les a réunis dans la même répression aussi bien religieuse que politique. Depuis que l'un comme l'autre sont attestés d'un point de vue historique, autrement dit depuis que leur (co)existence, est objectivement avérée et donc vérifiable de manière scientifique, leurs histoires sont autonomes et, parfois, conflictuelles, au point que, pour mémoire, "Le régulateur du maçon" de 1801 interdisait aux loges maçonniques de recevoir des "artisans et compagnons des arts et métiers". Entre Compagnonnage et F . . . M . . . il existe autant de similitudes (1) que de divergences.

De nos jours, assurément, la F . . . M . . . est plus florissante, numériquement parlant, que le Compagnonnage. La F . . . M . . . travaille à l'amélioration, matérielle, intellectuelle et morale de l'humanité à partir de l'amélioration personnelle de ses "adeptes" selon le cheminement, initiatique et traditionnel de chacun d'eux : l'objectivation de ce travail n'est pas évidente car il participe plus de l'idéel que du réel proprement dit et, singulièrement, du concret, du matériel. La pierre brute - l'humain- qu'elle s'efforce de dégrossir, de polir, d'"achever". reste abstraite et ne saurait être visible de celles et ceux qui se refusent à voir. En tant que société initiatique et traditionnelle, le Compagnonnage poursuit, à sa manière, le même but. Bien que numériquement plus faible, son travail s'objective dans les chefs d'ouvre que les Compagnons continuent d'achever en cherchant à se dépasser ainsi que dans leurs signatures qu'ils continuent d'apposer dans la pierre, le bois, le verre. de leurs ouvres.

Le Compagnonnage, même sous sa forme la plus ancienne de devoirs, ne s'est jamais confondu avec les corporations, les guildes, les jurandes (1) et, plus tard, les syndicats. En effet, si l'entraide en matière d'embauche, de "salaire", d'hébergement, de soins. a toujours - et est toujours - une dimension importante du Compagnonnage pouvant ponctuellement se décliner en "défense des intérêts" d'un compagnon contre d'autres compagnons [dans le cadre de l'arbitrage, voire de la justice compagnonniques] ou des tiers (pouvoirs publics ou religieux, nobles, banquiers, fournisseurs, clients.) (2), le Compagnonnage, dès son origine, à travers les Devoirs, s'est donné deux missions essentielles :

l'organisation, la défense, l'amélioration et la transmission des métiers (3) avec la formation (aussi bien théorique que pratique, fixe qu'itinérante, en centre de formation qu'en alternance, individuelle que collective), la préservation du secret des savoir-faire et des savoirs (4-5);

la constitution d'une fraternité d'hommes libres ayant fait le choix de s'engager, par la voie de l'initiation et selon un cheminement conforme à la Tradition (6), individuellement mais avec le soutien de l'Autre, vers le dépassement d'eux-mêmes pour accéder pleinement à leur humanité (7) et, ainsi, contribuer, par leur "action exemplaire" à l'amélioration morale, intellectuelle et morale de tous les humains.

Ces deux missions qui, en fait, sont indissociables l'une de l'autre, tant elles sont consubstantielles à l'"esprit compagnonnique" tel que "sacralisé" et ritualisé par la Tradition , sont toujours celles du Compagnonnage moderne, du moins celui qui se revendique comme une "société secrète d'hommes libres". Sur ce point précis, le Compagnonnage est très proche, pour ne pas dire similaire, voire même. identique à la F . . . M . . . . Toutefois, et comme je l'ai déjà dit, par rapport à la F . . . M . . . , sur ce point précis, le Compagnonnage dispose davantage de "force et de vigueur" que la F . . . M . . . puisque son action dans et sur le monde profane, d'une totale et, à bien des égards, parfaite, maîtrise, est bien visible et que cette visibilité, en raison de sa force comme de sa. beauté, a une exemplarité, à mon sens, nettement plus. "efficace" et donc. "entraînante", "attractive", "mobilisatrice".

Le Compagnonnage n'est pas l'exercice d'un art. libéral mais bien d'un art. libératoire, libérateur puisqu'il est la liberté de création en action. En ce sens, son avenir est celui de. l'humanité. Il ne disparaîtra donc pas avec tel ou tel progrès technique, pour ne pas dire technocratique, telle ou telle catastrophe écologique ou économique, politique. mais avec. l'humanité elle-même.

Lors de sa naissance, la F . . . M . . . ne connaissait que deux grades : Apprenti et Compagnon, la maîtrise n'étant que la "présidence", ponctuelle et donc éphémère, de la tenue d'une loge. A cette époque, le Compagnon était l'achèvement du dépassement de soi dans lequel s'était, un jour, engagé, le profane reçu apprenti. Comme ses ancêtres, au monde profane, le Compagnon d'aujourd'hui donne - au sens primordial du terme de "don" - son chef d'ouvre qui, pour paraphraser Paul Valéry, est un "supplément de beauté" offert la "vulgarité" de la "profanité", ouvrant ainsi la porte d'une "sacralité", dont la quête est éternelle, celle de. l'humanité.

Ainsi, moi qui, comme on dit vulgairement, ne sait rien faire de mes dix doigts, je me pose cette question : en tant que maçon, qu'est-ce que je donne à voir, à entendre, à toucher, à goûter et à sentir de. beau au monde profane pour, modestement, donner envie à certain(e)s de se mettre à bâtir une société humaine, véritablement humaine, pleinement humaine, c'est-à-dire libre, égale et fraternelle ?

Pour terminer, provisoirement, une citation de Lucien Farnoux-Reynaud :

"""Celui qui accomplit chaque jour sa tâche quotidienne comme si le sort du monde en dépendait, celui-là sera sauvé" dit la sagesse indoue. Le métier devient alors un support de l'initiation. Mais si la connaissance initiatique naît du métier celui-ci devient à son tour le champ d'application de cette connaissance. Cette correspondance parfaite entre l'intérieur et l'extérieur étant établie, l'ouvre produite devient le chef d'ouvre, l'expression même de celui qui l'a conçue. Cette donnée ne nous est pas tellement inconnue. N'est-ce point la raison même des Compagnons du tour de France? [.] Cette discrétion [des sociétés dites secrètes] peut nous surprendre, nous qui supposons facilement que tout est à dire, qui cherchons à le mettre à la portée de tous au lieu de hausser le postulant à la hauteur de la vérité et ainsi confondons la propagande et la vulgarisation".

J'ai dit V . . . M . . .

 

(1) Origines mythiques, symboles, abréviations typographiques, symboles, vocabulaire, voyages (Tour de France et Grand Tour), rituels (ex : chaîne d'union et chaîne d'alliance), chants.

(2) Toutes associations - ou syndicats - de patrons et non d'ouvriers salariés.

(3) Le Compagnonnage a pour mission de "sauvegarder la vocation de l'homme ouvrier", Fidélité d'Argentueil, compagnon tailleur de pierre.

(4) Ce qui distingue nettement, radicalement le Compagnonnage du syndicalisme, lequel se propose d'organiser la défense des intérêts des salariés contre le patronat.

(5) D'où le rôle essentiel des chefs d'ouvre qui sont les "cristallisations" objectivées d'un "art" achevé à un moment et en un lieu donnés. D'où, aussi, très tôt, l'organisation par les Compagnons de musées du Compagnonnage.

(6) Il a été démontré que, à poids égal, la passerelle du pont de l'Alma, inaugurée par deux Mères, en 1937, à l'occasion de l'Exposition universelle, était plus solide qu'une construction de même type en acier, tant la maîtrise de s charpentiers était parfaite.

Dans le même registre, je rappellerai que les Compagnons ont été étroitement associés à la construction de la Tour Eiffel. Une anecdote en est rapportée : à l'ingénieur Eiffel qui ne cessait de le tarabuster, un compagnon dit : "Oui ou non, voulez-vous me laisser faire mon métier ?". Sur ce, il rentra chez lui et, contrit, le chapeau à la main, Eiffel dut aller l'y chercher en le priant humblement de bien vouloir reprendre son métier !

(7) Que l'on peut qualifier de "primordiale" pour reprendre le terme de René Guénon, Christian Jacq.

(8) Autrement dit à la. maîtrise.

Poésie de J.C.Cabanel

http://jccabanel.free.fr/